On parle ?
19 novembre, 2015« Merci d’avoir modifié votre emploi du temps pour me recevoir. »
« Vous dites ça pour me flatter. Vous ne savez rien de mon emploi du temps, alors vous essayez de me donner l’impression que j’ai de l’importance en faisant semblant de croire que je suis surchargé. »
« En gros oui, mais il faut bien que je vous remercie de quelque chose puisque c’est vous qui m’accueillez. Je ne peux pas vous remercier de la vacuité de votre emploi du temps. D’ailleurs, c’est vrai que je ne le connais pas. »
« C’est un peu comme quand vous vous excusez de me déranger. En réalité, le fait que vous me dérangiez n’a pas d’importance pour vous, ce qui compte c’est que je me sente flatté de façon à me mettre dans de bonnes dispositions pour la discussion qui va suivre. »
« Si vous faites le tour de toutes les situations hypocrites dans le monde de tous les jours, on en a pour un moment. »
« Vous avez raison, il y en a de nombreuses. Un autre exemple : quand vous me dites que vous ne voudriez pas abuser de mon temps pour pouvoir me tenir la jambe pendant un bon moment encore. »
« Bon, alors, dites-moi ce que je dois dire pour être courtois. Il faut bien que je commence notre conversation par une amabilité. »
« Ne me remerciez pas de vous parler. Je suis un être humain doté de la parole et de la liberté de m’adresser à qui je veux. Me remercier d’un dialogue, c’est faire l’hypothèse implicite que je suis assez idiot pour m’opposer à toute conversation constructive avec mon prochain. C’est très insultant. »
« Bon… alors je ne vous remercie de rien. On peut discuter maintenant ? »
« Oui, je vous accord vingt minutes. »
« Ah ! Vous voyez que vous êtes surchargé et que votre temps est précieux. Donc comme vous m’offrez un petit bout d’une chose précieuse, les bonnes manières imposent que je vous en remercie. »
« Peut-être, mais ma façon de contingenter le temps de notre discussion est très malveillante. J’ai l’air d’insinuer que vous parlez tellement pour ne rien dire que je suis obligé de vous fixer une limite. Ou alors que ce que vous avez à me dire est si peu intéressant que je dois m’assurer que ça ne dépasse pas un certain seuil. Donc ne me remerciez pas d’être désagréable. »
« Résumons-nous : je vous remercie de m’accorder 20 minutes de votre précieux temps, mais surement pas du fait que vous m’imposez une limite de temps, comme si j’étais incapable de synthétiser ce que j’ai à dire ou encore de remarquer que je vous incommode par la longueur de mes exposés. »
« Bon, je vous que nous nous sommes compris. Notre conversation part sur de bonnes bases, c’est-à-dire très mauvaises, puisque nous avons jeté par-dessus bord tous les codes sociaux qui régissent la conversation entre deux êtres civilisés. »