Un nullard

« Je crois que je vais arrêter de vous insulter sur Internet. »

« Ah ! C’est vous ? »

« Oui, c’est moi. L’anonymat, c’est bien, ça protège. L’inconvénient, c’est que je ne peux pas voir votre mine déconfite quand je vous abreuve de médisances. »

« C’est ennuyeux, en effet. »

« Et puis, ce serait beaucoup mieux si vous vous révoltiez au lieu de vous en ficher complètement. Je vais être obligé de me rabattre sur des commentaires odieux sur n’importe quel site. »

« Ah bon ? Qu’est-ce que vous dites ? »

« Je critique tout et tout le monde. Avec des termes les plus crus possible. Je n’oserais pas vous les répéter. Après tout, je suis quelqu’un de bien élevé. »

« Qu’est-ce que ça vous rapporte ? »

« Rien. C’est d’ailleurs un scandale. Ce ne serait pas idiot de la part de certains annonceurs de me payer pour que j’insulte des concurrents. »

« Certes, mais il  y a peut-être des usages d’Internet plus intelligents. »

« Peut-être, mais ce qui est intelligent n’attire pas les foules. Quand j’interviens par mes commentaires acides, les responsables du site sont sûrs d’avoir des milliers de visiteurs dans les minutes suivantes. »

« Personne ne vous réponds que vos commentaires sont nuls ? »

« Si, mais alors je me déchaine contre lui, la polémique gonfle, les visiteurs sont encore plus nombreux. Les gens adorent la castagne, même virtuelle. »

« Vous envisagez au moins d’écrire dans un français correcte ? »

« Non. Il faut écrire avec plein de fautes et des abréviations étranges. Ça donne encore l’air plus voyou à ce que vous écrivez. Vous, il suffit de lire votre message pour penser que vous avez surement une tronche de premier de la classe. Auquel cas d’ailleurs, je me ferais un plaisir de vous insulter encore un peu plus. »

« Vous lisez les messages de vos correspondants ? »

« Pas entièrement. Ce n’est pas vraiment utile. Il suffit de repérer un mot qui ne me plait pas et je me déchaine en maltraitant son auteur. »

« Et s’il y a des commentateurs qui vous donnent raison ? »

« Je leur dis de faire attention. Ils ont le droit de tout critiquer, mais pas avec des mots plus insultants que les miens. En cas de tentative de débordement, je les atomise. »

« Vous n’avez rien d’autre à faire ? »

« Non. »

Laisser un commentaire