L’intello de service
17 novembre, 2015« Je suis l’intello de service. »
« Ah bon ? Et ça consiste en quoi ? »
« Dès que vous dites quelque chose, je réfléchis. Je m’interroge sur le sens de ce que vous m’avez dit. Je fais des rapprochements culturels. Bref, je m’empare de votre discours pour l’analyser en détail. »
« Par exemple. »
« Si vous me dites : trop d’impôts ! Je vous dis : halte-là ! De quels impôts parle-t-on ? Etat, collectivités locales ? TVA, IRPP … ? A partir de quand peut-on dire « trop » d’impôts ? Je vous cite quelques statistiques et pendant que j’y suis, la déclaration des droits de l’homme…. Et à la fin, vous regrettez d’avoir dit n’importe quoi ! »
« C’est assez stressant ! Avec vous, on ne peut plus colporter les idées toutes faites sans les avoir argumentées ou même comprises. »
« Et alors ? »
« Si on ne peut plus répéter bêtement ce qui a été au journal télévisé de la veille, que va-t-on se dire entre collègues le lendemain ? Vous y avez pensé à ça ? »
« Vous n’avez qu’à énoncer des idées intelligentes, précises et documentées. »
« D’abord, c’est fatigant. Moi, après le journal télévisé, je n’ai que l’envie d’aller me coucher. Ensuite, si je commence à développer des idées approfondies, je vais faire passer mes interlocuteurs pour des imbéciles. C’est exactement ce que vous faites sur la question fiscale et ce n’est pas très sympa. »
« Selon vous, il vaut mieux laisser chacun dans le confort intellectuel qui consiste à répéter les idées admises sans y réfléchir. »
« Pour établir des relations correctes avec son voisin, c’est beaucoup mieux. Sauf si c’est un chercheur en sciences ou en sciences sociales. Dans ce cas, je m’abstiens de lui parler parce qu’il ne regarde sûrement pas les journaux télévisés. »
« Mais quand même, réfléchir un peu ne nuit à personne… »
« Si, ça peut nuire. Si vous m’empêchez de me plaindre des impôts, du temps qu’il fait, des vacances trop courtes, des étrangers, des jeunes … C’est un peu comme si vous empêchiez un animal de dormir, il devient fou ! »
«Je vois. Le mieux, ce serait d’avoir des raisons objectives de se plaindre. Mais c’est extrêmement rare. En attendant, nous pourrions éviter de râler pour n’importe quoi. Je vous propose de réfléchir à ce que serait un pays où chacun serait obligé de réfléchir avant de râler. »
« Tout le monde ficherait le camp. L’équilibre social repose sur un certain déficit culturel. »
« Euh… c’est bien le problème : l’absence de réflexion a quelque chose de rassurant. Quand je dis n’importe quoi, je suis sûr d’être du côté du plus grand nombre. »