Savoir insulter

« Il y a des métiers dans lesquels on peut facilement se faire insulter. »

« Le mieux, si on aime ça, c’est de travailler dans une service après-vente ou alors d’être instit de CM2. »

« Pourquoi CM2 ?… »

«  Parce qu’avant les élèves n’ont pas assez de vocabulaire. »

« Oui, mais enfin, il n’y a pas besoin d’être professionnel pour être bien insulté. Il n’y a qu’à se jeter dans la bagarre au moment des soldes. »

« C’est sûr. Moi, je n’y vais pas parce que je n’ai pas assez d’insultes en réserve. »

« Ne vous en faites pas. Avec connard ou connasse, vous faites déjà pas mal de dégâts. Vous pouvez aussi mettre en doute la bonne moralité de la mère de votre assaillant. Il y a peu de risque qu’il ou elle vous dise qu’il est d’accord avec vous. »

« Je trouve quand même que les batailles d’insultes d’aujourd’hui manquent de classe. Certains s’abaissent même à critiquer mon automobile : je ne supporte pas qu’on la traite de tas de tôle dans les embouteillages. »

« Que voulez-vous ? Personne ne vous traitera de paltoquet ou de jeune foutriquet si vous bouchez la rue avec votre voiture. Une bonne insulte doit claquer comme un coup de fouet. Lorsqu’on s’insulte, on ne fait pas de la littérature. »

« C’est dommage. Qu’est-ce que vous me conseillez pour moderniser mon vocabulaire ? »

« Enfoiré, c’est très bien. Pas trop vulgaire, mais apte à faire comprendre votre mécontentement et le peu d’estime dans laquelle vous tenez votre interlocuteur. »

« Mais en général, mes opposants ne se gênent pas pour employer des termes à connotation nettement sexuelle. »

« Euh… vous pouvez aller jusqu’à tête de nœud. Si le ton monte encore, ‘vas-te-faire-foutre’ peut être dégainé. Mais il faut savoir que cette éventualité exaspèrera votre adversaire, au point qu’il pourra – la bouche tordue de fureur – vous demander de répéter ce que vous avez dit alors qu’il a très bien entendu. »

« Euh… là, on est au bord de la violence physique. Alors qu’est-ce que j’ai fait ? »

« Si vous êtes en voiture, vous bloquez portes et fenêtre, puis vous essayez de prendre un air dégagé. Sinon, vous le regardez dans les yeux, et vous dites : mais bien sûr que je vais répéter ! Et là, vous sortez : va donc ! Eh ! »

« Vous croyez que ça suffit ? »

« Oui, l’autre va vous regarder méchamment pour sauver l’honneur, et puis – comme il n’a pas été assez insulté – il va relâcher la pression en haussant les épaules, tout content de vous avoir impressionné sans même en venir aux mains ce qu’il redoutait autant que vous.»

Laisser un commentaire