Savoir attendre
15 octobre, 2015« C’est long. »
« Oui, il faut attendre. »
« Vous avez remarqué ? On passe sa vie à attendre. Il faudrait ajouter les temps qu’on passe à attendre à la caisse du supermarché, au péage de l’autoroute, dans la salle d’attente du dentiste, à l’entrée du cinéma, à l’arrêt de bus…. On obtiendrait sûrement un résultat impressionnant. »
« Qu’est-ce qu’on fait de tout ce temps ? »
« Rien. Mais c’est bien ainsi. Qu’est-ce que serait notre vie si on utilisait toutes les secondes du temps à faire quelque chose ? »
« Ce serait infernal. »
« Vous avez raison, si les temps d’attente n’existaient pas, il faudrait les inventer. Il y aurait une loi pour rendre un temps d’attente obligatoire pour chacun. Finalement, c’est une question de santé publique. »
« Il faudrait qu’un article de la loi interdise de s’énerver durant ce temps ou de prononcer des phrases à la con comme : quel temps perdu ! C’est ce genre de réflexe qui engendre des maladies nerveuses. »
« Le pire, c’est que c’est contagieux. Quand quelqu’un s’énerve dans un groupe, ça atteint tout le monde et les gens finissent pas se casser la figure entre eux. »
« Pensez-vous qu’on puisse autoriser le droit de penser pendant cette attente obligatoire ? »
« Non, pour que l’attente soit un moment reposant, il ne faut pas penser. Penser au passé provoque des regrets ou des remords. Penser à l’avenir est susceptible d’entraîner des crises d’angoisse ou au minimum des appréhensions injustifiées. »
« Donc, il faudrait une police spéciale qui contrôle le temps d’attente d’une part et les pensées d’autre part. »
« Je reconnais que contrôler les pensées des autres, c’est un peu compliqué. Il faudrait entraîner nos policiers à lire la physionomie des citoyens. Seule serait permise une expression du visage complètement neutre, un peu benoite comme la vôtre. »
« Euh… quand même, nous devrons expliquer au citoyen ce qu’ils attendent. »
« On fera comme d’habitude. On leur dira qu’ils attendent des jours meilleurs. »
« Il ne faudrait pas qu’arrivent ces jours meilleurs. »
« Avec la crise, il n’y a pas de risque. Personne ne sait quand elle s’arrêtera. Il suffit d’attendre patiemment. »
« Je comprends tout : c’est pour ça que le gouvernement n’est pas pressé d’en sortir. »
« Oui. Si tout le monde était heureux dans le pays, on se demande bien ce que les gens pourraient attendre de plus. »
« Finalement : vive les mauvaises politiques…. Tiens, voilà le bus. On le prend ou on attend le suivant ? »