Je suis le directeur de mon quartier
13 octobre, 2015« Puisque personne ne pense à moi, je me suis attribué une promotion. Je suis directeur. »
« Directeur de quoi ? »
« De rien. Je suis directeur, c’est tout. »
« Et ça se traduit comment ? »
« D’abord, quand je dois aller faire mes courses, je me rase et je mets une chemise blanche avec une cravate. Je sors mon meilleur costard évidemment. »
« Et puis ? »
« Dans la rue, j’ai le téléphone collé à l’oreille. Je n’ai personne à qui téléphoner, mais ça ne fait rien. Je prends l’air important et empressé. »
« Oui, ça fait bien directeur. »
« Dans les magasins, je serre les mains en appelant chacun par son prénom, pour avoir l’air de bien connaître mes équipes. »
« Vous êtes un directeur très sympa. »
« Chez le boucher, je me livre à une analyse du marché bovin. Monsieur Roupillon et sa bouchère sont toujours suspendus à mes directives. »
« Il est vrai que vos compétences économiques font merveille. »
« Chez le boulanger, je prends des nouvelles du petit dernier qui fait des étincelles à l’école primaire du quartier. Un bon directeur doit être capable de s’inquiéter de la vie privée de ses employés, sans en faire trop néanmoins. »
« On voit bien que vous êtes un homme pondéré. »
« Chez le buraliste, je vérifie que tous les journaux sont bien arrivés. Une bonne circulation de l’information, c’est important dans mon entreprise. »
« Tout à fait, grâce à vous mes enfants peuvent lire Le journal de Fripounet de manière tout à fait régulière. »
« Dehors, j’organise le travail des employés municipaux en leur indiquant les endroits où il doivent déployer leur action de nettoyage en priorité. »
« Il vous en sont très reconnaissants. Vous êtes un directeur très populaire. »
« Il faut dire que je suis impressionnant : main ferme dans gant de velours. J’ai également provoqué une réunion de travail avec tous les représentants qui me téléphonent régulièrement pour me vendre quelque chose. Ils étaient trente-deux dans mon salon. ».
« Et alors ? »
« La réunion a été un peu houleuse, mais je suis resté inflexible. Ils ont enfin compris que mon entreprise ne leur achètera rien du tout. Ils sont partis rassurés sur le sens de mes orientations stratégiques. »