Un être parfait
13 septembre, 2015« Je n’ai pas d’imperfections. »
« C’est ennuyeux. Un être humain doit nécessairement être imparfait. Vous n’avez vraiment pas un petit défaut ? »
« Non, j’ai essayé d’être gourmand puisque la gourmandise est un vilain défaut. Sans succès. Je résiste très bien à l’attrait d’un chou à la crème. »
« Remarquable. Vous pourriez donner des leçons. Comment faites-vous ? »
« En fait la plupart des défauts ont pour objet de combler un manque : gourmandise, jalousie, avarice… Comme moi, je ne manque de rien, je n’ai pas de défauts. »
« Donc, pour vous, les défauts sont réservés aux pauvres. »
« Non, un pauvre ne sera jamais avare puisqu’il n’a aucune ressource à épargner. On peut être pauvre et noble. Je parlais d’autres manques : manque d’affection, de considération, de culture, etc… »
« Je vois : il s’agit donc de pauvreté intellectuelle et affective. »
« Oui. Par exemple, si vous, vous êtes prétentieux, c’est parce que vous avez peut-être une bonne situation sociale, mais que vous essayez de l’utiliser pour compenser une complexe d’infériorité, lui-même causé par un manque de reconnaissance de la part de vos proches. Vous voyez ce que je veux dire. Moi, ma famille m’est très reconnaissante, donc je n’ai pas de complexe, et je peux gérer mes affaires tranquillement. »
« Si je comprends bien, je passe mon temps à faire le malin pour contrebalancer ma peur de ne pas être à la hauteur aux yeux de ma famille, dans la gestion de la fortune que mon père m’a laissé. »
« C’est à peu près ça. Lorsque vous enviez la femme des autres, c’est parce que vous êtes en manque d’affection et que vous avez peur de ne plus séduire. »
« On ne peut pas draguer sans avoir peur de soi-même ? »
« Non, ce n’est pas possible. Sauf pour moi. Suivez-moi bien, je n’ai pas de défauts car je manque de rien. Comme je ne manque de rien, je n’ai pas peur de rester en état de manque. Comme je n’ai pas peur, je peux draguer tranquillement. Ou pas. »
« Donc pour être parfait, je dois combler mes manques. Et lorsque ce sera fait, je n’aurai même plus la peine d’avoir des défauts. Ou alors, je pourrai en avoir, histoire de passer le temps. Ce serait une espèce de luxe. »
« Moi je dirai une dépravation. Etre heureux dans sa tête et en famille, tout en étant avare et prétentieux, c’est possible. C’est comme allez s’asseoir en seconde classe alors qu’on possède un billet de première classe. C’est un peu pervers et même provoquant. »
« Vous, vous êtes pervers ? »
« Non, je suis parfait, mais je n’ai pas la perversion des parfaits. J’ai toujours un billet de première, donc je ne vois pas pourquoi j’irai sur un siège de seconde. Allons, allons ! »