La dépression des frites
« J’ai 40 ans et je mange un hamburger dans un restaurant rapide, devant deux gamins idiots qui flanquent du ketchup partout. »
« Et alors, ça vaut mieux que d’avoir 25 ans et déjeuner dans la rue après avoir fait les poubelles de restaurants. »
« Peut-être, mais c’est très loin de mes ambitions d’adolescent. »
« Je vois ce que c’est. Monsieur voulait sauver la planète. Partir en Afrique pour protéger les enfants ou alors en Amazonie pour empêcher la déforestation. Mais enfin… Qu’est-ce que vous avez tous à vous prendre pour le bon Dieu ? »
« Je ne me pends pas pour Dieu, mais de là à me nourrir de hamburgers ! Je voulais simplement vivre un peu, avoir des sensations… Devant ce tas de frites, je ne ressens pas grand-chose. J’ai même comme une dépression. C’est la dépression de la frite ! »
« Essayez de penser aux plus malheureux… »
« Nous y voilà, vous faites partie des gens qui trouvent normal qu’on abandonne ses rêves, au seul motif que tout le monde les abandonne. »
« Non, pas forcément. Mettez-vous à la place du directeur du resto rapide. Il n’a jamais rêvé de faire ce boulot. Donner des frites à manger à des quadragénaires en dépression, vous parlez d’une vocation ! Et pourtant, il a l’air dans son élément : il voit des clients, il engueule ses salariés, il calcule son chiffre d’affaires…. Bref, il ne se prend plus pour le bon Dieu, et ça n’a pas l’air de le gêner. »
« Vous avez raison. Si on était tous le bon Dieu, il n’y aurait plus personne à sauver et donc plus besoin de bon Dieu. Ce serait la fin du monde. Il faut que nous restions entre médiocres, tout juste aptes à envier ceux qui deviennent divins. »
« Contentez-vous de vivre par procuration. Des gens qui se sont comporté de belle manière, on vous en présente toutes les semaines à la télé. Contentez-vous de les féliciter et de leur faire part de votre admiration. Soyez un peu groupie ! »
« Bon ! Tout de même, je donne aux Restos, vous ne trouvez pas ça un peu héroïque ? Personne n’en parle à la télé. »
« Non, ce n’est pas héroïque, c’est normal. Vous participez à une grande œuvre à votre échelle, c’est-à-dire pas grand-chose. On ne risque pas de vous confondre avec le bon Dieu, ce qui est plutôt bon pour vos relations avec la religion. »
« Si je comprends bien, vous êtes partisan que je reste dans la médiocrité, même si je ne suis pas heureux de mon sort. »
« Oui, je vous dis ça pour votre bien. Si vous aviez encore envie de sauver le monde, vous seriez obligé d’abandonner les enfants, les frites et la femme. Laquelle vous ferait un tas d’histoires pour abandon du foyer familial. »
« C’est vrai qu’elle ne se prend pas pour la mère Theresa, elle. Euh… à défaut d’un départ dans la jungle, je pourrais peut-être me distinguer au bureau. Je deviendrai chef. Un chef humain qui ferait l’unanimité du personnel. Les secrétaires jetteraient des fleurs sur mon passage. Les PDG descendraient de Paris pour m’honorer… »
« C’est moins dangereux que la jungle amazonienne, mais plus con… »
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