Un discours entendu
12 juillet, 2015« Mes discours sont ennuyeux. »
« Evidemment, vous les construisez comme on vous apprit à le faire en fac. Ce n’est pas du tout comme ça qu’il faut faire. »
« Ah bon ? »
« La première chose, c’est qu’il faut que chacun de vos auditeurs sentent que vous vous adressez à lui-même en personne. Alors imaginez que vous parlez à votre voisin sur un coin de zinc de bar. Très décontracté. »
« Oui, mais j’ai des des chiffres à citer, des trucs ennuyeux à dire, des machins de grandes personnes sobres, quoi… »
« Euh… ce serait mieux si vous vous mettiez à la portée des bistrotiers… Dites ce que l’on attend que vous disiez dans les bars de quartier. »
« Ce n’est pas un peu démagogique ce que vous me dites ? »
« Si, et alors ? Tout le monde le fait, ça s’appelle être proche des gens ou être proche du peuple. Si vous pouvez insérer des blagues ou des mots à la mode, c’est encore mieux… Dites que vous aimez tel chanteur de variétés, ça vous donnera l’air naturel. Johny, par exemple, il passe partout. »
« Donc selon vous, le niveau culturel est bas et je dois m’adapter. »
« La culture populaire, ce n’est pas une question de niveau, c’est une question de ressenti. Chanter en cœur des chansons idiotes, comme le samedi soir à la télé, ce n’est pas être idiot, c’est exprimer un moment de joyeuse fraternité. »
« Il y a quand même un moment où il faut s’attaquer sérieusement aux choses sérieuses.»
« Oui… mais vous pourriez intégrer un peu de sagesse populaire dans votre discours. Par exemple : ne dépensons pas plus que nos ressources ou alors, mettons de côté quelques provisions pendant les périodes de vaches grasses pour affronter l’hiver. Même les écureuils savent faire ça. »
« Je vais passer pour un révolutionnaire ! Tout le monde cultive tranquillement son déficit ! Personne ne prévoit l’avenir… »
« Si vous voulez gagner les élections, c’est vrai qu’il vaut mieux dire n’importe quoi et ne pas se demander où va le monde. Alors, allez-z-y carrément. Mettez des anecdotes dans votre discours pour l’égayer. Dites que tout va mal, ça suscite beaucoup plus d’intérêt que tout va bien. Dites que vous avez rencontré un commerçant qui se plaint des taxes. Vous aurez l’air de prendre en considération les besoins des gens. »
« Sauf que je n’ai rencontré personne… »
« Aucune importance. Imaginez ! Annoncez que vous, vous n’avez pas peur de dire la vérité aux électeurs ! Avec vous pas de blabla, des résultats ! N’oubliez pas de dire que vous en avez marre des gens qui sont complètement déconnectés du peuple. »
« Je ne serai pas le premier à dire ça. »
« Non, mais il faut le dire. C’est obligé. »