Archive pour mai, 2015

Raler

31 mai, 2015

« Moi, je ne me plains pas : j’ai de quoi manger, un toit sur la tête, un lit pour dormir et je vais même au cinéma de temps en temps. »

« Vous ne vous plaignez de rien, vous êtes fou ! »

« Pourquoi, voulez-vous que je me plaigne ? »

« C’est socialement obligatoire. Regardez le restaurateur : soit il râle à cause de la pluie qui empêche les gens de sortir, soit parce que la baisse du pouvoir d’achat empêche les clients de commander ce qui est cher, soit parce que l’Etat lui colle trop de taxes. Voilà au moins un râleur sérieux ! »

« Euh… je ne sais pas contre quoi râler ! »

« Votre salaire. Vous n’allez pas me dire que vous vous trouvez bien payé. Vous souffrez sûrement pour joindre les deux bouts. Dites-moi que vous mangez des pâtes à partir du quinze du mois. »

« Euh… non… je vais chez Monsieur Ducard, le boucher du quartier, jusqu’à la fin du mois. Il est très sympa. »

« Bon, alors rouspétez contre votre patron comme tout le monde ! Il vous impose sûrement des cadences infernales ! »

« Non, pas vraiment. Nous avons une bonne complicité ; il veille à ne pas trop accroître ma charge de travail. Nous prenons les décisions en concertation. »

« Les décisions en concertation ! Malheureux ! Dans quel monde vivez-vos ! Vous n’aurez bientôt plus aucune occasion de vos révolter ! Et le gouvernement, vous êtes content du gouvernement ! Tous ces ministres qui se gobergent et ne font rien pour améliorer votre sort ! »

« Ils auraient du mal : je vous ai dit que je ne me plaignais de rien ! »

« Un homme heureux, ça n’existe pas ! Je n’ai jamais vu ça ! C’est interdit ! Faites un effort ! Le réchauffement climatique, par exemple. Quand ils n’ont plus rien sous la main, les gens normaux s’en prennent au réchauffement climatique ! »

« Certes, c’est préoccupant ! »

« Préoccupant, c’est tout ? Non, mais vous ne voyez qu’il y a là-dessous un tas d’irresponsables qui cherchent à vous pourrir la vie. »

« Euh… je comprends pas trop pourquoi ils pourrissent là leur par la même occasion. Il faudrait qu’ils en prennent conscience. »

« Qu’ils en prennent conscience ! Les bras m’en tombent ! Il faut gémir, gueuler, descendre dans la rue ! Enfin bref, se plaindre au lieu de chercher une attitude constructive ! »

« Ça y est je crois que je vais me plaindre… »

« Dieu soit loué ! »

« Me plaindre de ceux  qui se plaignent de tout ! »

Dis donc !

30 mai, 2015

Avant d’empoigner son guidon

Le coureur a rempli son bidon

Et vérifié ses tendons.

Depuis sa dernière course, il a le bourdon,

Mais cette fois, il n’y aura pas d’abandon.

A l’arrivée, il recevra un bouquet de chardons

Qu’il aura bien gagné. Ce ne sera pas un don.

Certains lui demanderont pardon.

Dansons !

29 mai, 2015

C’était une grande gigue

D’origine polonaise

Vêtue d’un boléro

Elle portait toujours une musette.

Elle savait manier le balai.

Mais aimait aussi colporter des cancans.

Son homme était solide comme un roc.

Quand il était bourré

C’était souvent le chahut.

A la fin, elle l’a envoyé valser.

Déconnade

28 mai, 2015

« Les gens ne s’expriment pas assez. Il y a beaucoup trop de rancœurs et de rancunes  rentrées, ça crée des malheureux. »

« Oui, il est urgent d’ouvrir des espaces de déconnade. Ce seraient des endroits où on pourrait dire n’importe quoi à qui l’on veut. Eventuellement parler tout seul. »

« Il faudrait récupérer ce qui s’est dit pour savoir ce qu’on pourrait en faire. Parce qu’il ne s’agit pas simplement de se libérer. Après, il faut affronter la réalité. »

« D’accord, mais il ne faut pas que le principe de réalité s’oppose au besoin de libération. Ce serait un contresens. »

« Bon, mais c’est dur de dire des conneries sur commande. On est tous formatés pour ne pas en dire. Là, si vous me demandez d’en sortir une, je serais bien embêté. »

« Il faudrait travailler davantage sur le concept de connerie. Par exemple, si je dis que c’est le soleil qui tourne autour de la Terre, c’est une connerie scientifique, mais je ne vois pas bien ce qu’on pourrait en faire. »

« Si, moi je vois. Cela pourrait alimenter un roman de science-fiction. Deux sociétés vivraient dans les deux hémisphères de la Terre, l’une d’elle aurait découvert le moyen de stopper la course du soleil, si bien que l’autre vivrait éternellement dans la nuit. Les gens de la nuit ne seraient pas très contents et envahiraient ceux du soleil. »

« Bon, d’accord, j’ai choisi une connerie intéressante. Mais si je passe mon temps à réciter l’annuaire téléphonique à haute voix dans mon espace de déconnade, qu’est-ce que vous en faites ? »

« Là, vous avez raison : rien. Ceci dit, vous êtes sur une connerie qui frise le dérèglement mental. C’est un problème de santé. »

« Donc, il faudrait réglementer le espaces de déconnade. Il y aurait sûrement des gens qui tiendraient des propos punis par la loi. En fait, je me demande si vos espaces de déconnade n’existent pas déjà sous la forme des réseaux sociaux. »

« Euh… Je trouve qu’il circule effectivement beaucoup de conneries sur les réseaux. Mais elles ne sont pas très constructives : ce sont souvent des insultes ou l’expression de gens dont la seule envie est de se faire remarquer. »

« Si je comprends bien, dans le règlement des espaces de déconnade, il y aurait : pas d’insultes, pas de règlements de compte, pas de pathologie mentale…  Autrement dit, il ne faudrait surtout pas que ce soient des espaces virtuels pour que les gens ne se cachent pas derrière leurs ordinateurs. »

« Oui, je reconnais que c’est paradoxal. Les réseaux sociaux sont des espaces de liberté, mais pas des espaces de déconnade. Déconner doit être élevé au niveau proche d’une expression artistique. De grands peintres l’ont compris. La différence, c’est que dans les espaces de déconnade, on aurait le droit d’être complètement nul, alors que l’artiste touche au sublime. »

« Bon, d’accord, je m’inscris. On commence quand ? »

« Je vais recruter par les réseaux sociaux. »

« Non, ce serait une connerie. »

Des tirets

27 mai, 2015

Ce n’est pas un béni-oui-oui,

Il se moque du qu’en-dira-t’on

Il ne reste jamais dans les non-dits.

Il déjeune dans un boui-boui

Loin des bien-pensants.

Je le sais par ouï-dire.

Selon les on-dit

Il donnera ses mémoires au mieux-disant.

Compliments !

26 mai, 2015

« J’adore les compliments. »

« Vous portez une jolie robe qui vous va à merveille. »

« Sous-entendez-vous que je m’habille à l’as de pique, les autres jours ? Je m’en sentirais offensée ! »

« Non, mais je ne vais tout de même pas vous dire que vous avez une belle robe tous les matins ! Un compliment n’est un compliment que s’il est très rare. »

« Vous pourriez changer. Demain, vous pourriez me dire que j’ai de très beaux géraniums sur mon balcon. Avec le mal qu’ils me donnent, ça m’encouragerait… »

« Non, si je multiplie les compliments, cela ressemble à du léchage de bottes. Je suis sure que vous finiriez par ne plus y croire d’une part, et par me détester d’autre part. »

« Bon, alors on fait comment ? »

« Je vous fais un compliment de temps à autre sur votre garde-robe, c’est déjà pas mal ! »

« Il faudrait faire plus. Vous me faites un compliment sur ma robe, mais vous n’avez pas l’air intéressé. Demandez-moi où je l’ai acheté, de quel textile est-il composé, me gratte-t-elle dans le cou ? »

« Ce n’est plus un compliment, c’est un reportage vestimentaire. Un compliment doit être léger, c’est une forme de courtoisie. D’ailleurs, je vous signale au passage qu’ayant reçu un compliment, vous devriez m’en retourner un autre. C’est indispensable pour entretenir nos bonnes relations. »

« Ah bon ? Sur quoi dois-je vous complimenter ? »

« J’en sais rien, c’est à vous de trouver, ça démontrerait que vous vous intéressez un peu à moi au lieu d’attendre benoitement que je vous félicite pour votre goût vestimentaire. »

« D’accord… alors je vous félicite pour votre jolie voiture grise. »

« Euh… elle est blanche et toute sale. Je n’ai pas eu le temps de la laver. Elle n’est donc pas jolie du tout. Faites donc un peu attention avec vos compliments. Si vous ne remarquez que la saleté de ma voiture chez moi, je pourrais très mal le prendre. »

« Bon, alors qu’est-ce que je dis ? Si je veux que vous me fassiez des compliments, il faut que j’en trouve à vous faire. Pff… ! »

« Soyez spontanée, créative … Qu’est-ce qui vous intéresse chez moi ? »

« Pas grand-chose. »

« Alors critiquez-moi. C’est une autre manière de vous intéresser à mon cas. C’est mieux que rien. »

« Il est vrai que votre parterre de tulipes n’est pas très bien entretenu. C’est une vision qui insulte mon goût pour l’esthétisme. »

« Non, mais dites-donc pour qui vous prenez-vous ? Vous avez vu l’état de votre haie, ça se taille une haie ! »

« Alors, plus de compliments ? »

Impressions russes

25 mai, 2015

L’homme vide un verre de vodka,

Il ingurgite un baba au rhum,

Puis sort du bistro.

Dans la rue, ça sent le mazout.

Il fait un froid sibérien.

Un vieillard joue de la balalaïka.

Dans le quartier, il est une icône.

Un jeune homme, immense comme un mammouth

Et roublard comme un renard

Joue ses derniers kopecks aux dés.

On s’en f…

24 mai, 2015

« A force de dire qu’on s’en fout, on va vraiment s’en foutre ! »

« De quoi, vous vous foutez ? »

« De tout : des élections, des impôts, de la dette, du mariage, de l’école, de l’emploi … de tout, je vous dis. De toute façon, les journalistes disent que tout le monde s’en fout, donc on s’en fout. »

« Vous avez besoin qu’on vous le dise ? »

« Euh, oui, pour faire comme tout le monde, le premier qui ne s’en fout pas est considéré comme vendu au système. »

« C’est quoi le système ? »

« C’est tout ce qui pousse les gens à ne pas s’en foutre. »

« Vous avez raison. Moi, de toute façon, je me fous du fait que vous vous en foutiez. »

« Bon, c’est pas tout ça. Une fois qu’on a constaté qu’on s’en fout, qu’est-ce qu’on fait ? »

« Moi, je vais regarder la télé, pour essayer de comprendre pourquoi je m’en fous. »

« C’est bien, mais faites attention, parfois il y a des émissions intelligentes qui pourraient vous intéresser. C’est très risqué. Moi, je vais plutôt faire un tour dans les boutiques du quartier pour m’assurer que tout le monde s’en fout. »

« Faites attention au boulanger. L’autre jour, il m’a développé une théorie économique. Je n’ai rien compris, mais il avait l’air d’avoir lu quelque chose là-dessus. »

« Aïe ! Il ne faut pas discuter avec des gens cultivés, ça se termine toujours mal ! Moi, je me contente de mon hebdomadaire de télé. Au moins, je suis au courant des potins de stars. C’est sans intérêt, donc je peux continuer à m’en foutre. »

« C’est dur de ne s’intéresser à rien. Je n’arrive même pas à me désintéresser du championnat de France de foot. »

« Essayez d’imaginer ce que les joueurs gagnent en tapant dans un ballon. Il vaut mieux s’en foutre une bonne fois pour toutes ou alors on fait la révolution. »

« D’accord. Mais j’ai failli aller voter aux dernières sélections pour exprimer mon désarroi. »

« Quelle horreur ! Faites attention : on pourrait croire que vous avez des convictions politiques. Si c’est le cas, dites-le tout de suite, je ne vous parle plus. Il faut que j’entretienne des  relations avec des gens qui s’en foutent complètement, sinon je pourrais être contaminé. »

« Heureusement, je me suis abstenu au dernier moment. C’est mieux, comme ça personne ne sait ce que je pense. D’ailleurs, tout le monde s’en fout. »

« Il faut faire très attention de ne pas se laisser embrigader. Si on a des opinions, on est obligé de les défendre ou alors de mettre ses actes en conformités avec ses paroles. C’est très déstabilisant, d’autant plus que rien ne vous assure que vous aillez raison. »

« Oui. Il ne faut pas avoir d’opinion tranchée. Comme ça, on reste entre gens qui s’en foutent et on ne se disputera pas. C’est pénard. »

« Et en plus, je ne vous dis pas la galère quand il faut changer d’opinion ! »

Porte à porte

23 mai, 2015

Il n’a pas les portugaises ensablées.

Il a décroché un portefeuille ministériel.

Il passe sa journée accroché à son portable.

Il est suivi de son porte-parole

Qui porte

Son porte-documents

Et ouvre sa portière de voiture.

Devant lui, toutes les portes s’ouvrent.

Onomatopées

22 mai, 2015

Maurice dort dans le clic-clac

Sous le tic-tac de l’horloge.

Il pose ses affaires sur le pouf.

Il passe ses nuits dans des booms.

En se nourrissant de fraises tagada.

Il n’entend jamais le cocorico du coq.

Il est un peu toc-toc.

Il mériterait des claques.

Mais il est ainsi depuis le big-bang.

C’est une nouvelle qui ne fera pas le buzz.

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