Archive pour le 24 mars, 2015

Un demi-yaourt

24 mars, 2015

« Vous pourriez me prêter un demi-yaourt ? »

« Comment ça, un demi-yaourt ? »

« Oui, ce n’est pas compliqué : vous me passez un yaourt neuf… pas usagé… neuf ! J’en mange la moitié et je vous rends le reste. »

« Mais c’est dégoutant ! Je pourrais à la rigueur vous prêter ma tondeuse à gazon ou ma salière, mais un demi-yaourt, ce n’est pas possible ! C’est dégoutant ! »

« Comment ? Mais je n’ai pas le choléra ! » 

« La seule idée d’absorber un yaourt dans lequel vous avez peut-être baver me rend malade. Nous ne nous connaissons pas. »

« Figurez-vous que je ne bave pas ! »

« Et puis d’abord pourquoi ne voulez-vous pas un yaourt entier ? »

« Parce qu’il ne faut pas abuser des produits laitiers, ça ne va pas avec mon régime. Je ne sais pas comment vous mangez, mais moi je fais attention. »

« Mais enfin, je ne PEUX pas vous prêter un yaourt ? »

« Et pourquoi, Monsieur ! Nous sommes entrés dans une ère de consommation collective : une auto, une scie électrique, un lit, ça se partage maintenant alors pourquoi pas un yaourt ? Si vous refusez, vous n’êtes pas un citoyen solidaire ! »

« Bon, on va faire autrement : je vous donne un yaourt, vous mangez ce que vous voulez et vous jetez le reste, ça vous va ? »

« MOI ! Jeter de la nourriture ! Quel scandale ! Et d’abord, ils sont à quel parfum, vos yaourts ? Moi, il me faut de la framboise ! »

« Quelle malchance, moi c’est citron ! »

« Vous pourriez changer ! »

« Et puis d’abord, vous comptez me la rendre comment ma moitié de yaourt ? ».

« Sous forme d’une moitié de choucroute ! »

« Oui, mais attention, il faut que le partage soit équitable, je tiens à ce qu’il me reste une moitié de saucisse de Francfort, je ne tiens pas à me retrouver en tête-à-tête avec le chou ! »

« Vous êtes particulièrement exigeant. La Francfort, c’est justement ce que j’apprécie le plus dans une choucroute. Et puis d’ailleurs, vous seriez gagnant : un demi-yaourt contre une demi-choucroute, c’est vous qui êtes gagnant. »

« Tout compte fait, je n’ai pas tellement envie de manger dans votre assiette, même si je ne suis pas un citoyen solidaire. Il faudrait quand même respecter mon intimité. »

« Personne n’en veut à votre intimité. Si vous pouviez faire attention à la date limite de consommation du yaourt, ça m’arrangerait. Je ne tiens pas à finir les restes de votre réfrigérateur. Méfions-nous des microbes ! »