C’est la question
8 mars, 2015« J’ai quelque chose à vous demander. »
« Avec plaisir, de quoi s’agit-il, mon bon ? »
« Comment ? Vous accueillez ma demande les bras ouvert. Sans même savoir quel est son but ? Vous n’avez pas peur ? »
« Non, je suis un être confiant. Si je peux vous rendre service, ce sera avec plaisir. »
« Mais d’habitude quand je dis à une personne que j’ai quelque chose à lui demander, je lis instantanément de la terreur dans son regard. On sent que la crainte la submerge. Ce n’est pas tellement l’objet de ma demande qui l’inquiète que la manière dont elle va pouvoir m’envoyer paître en respectant un minimum de conventions sociales. »
« Evidemment vu comme ça, c’est un problème. Mais si votre demande est anodine, il n’y a pas de raison de s’énerver. »
« Si, il y a une raison. D’abord parce que la personne ne sait pas – a priori – si ma question est anodine, ensuite parce que le seul fait que je puisse avoir le besoin momentanée de m’appuyer sur elle la déstabilise, elle qui a été élevé dans la religion du « chacun pour sa pomme » ».
« Bon, imaginons que votre demande soit embarrassante. Qu’est-ce qui se passe ? »
« Dans le meilleurs de cas, mon interlocuteur n’a pas le temps. Pas le temps de rechercher le livre que je veux lui emprunter. Pas le temps de boire un verre avec moi. Pas le temps de discuter de la politique fiscale du gouvernement. »
« Oui, ça je sais, nos contemporains ont rarement le temps. Mais n’avez-vos pas d’autres demandes qu’une discussion sur la politique fiscale du gouvernement ? »
« Si parfois, je demande à des passants mon chemin. »
« Et alors ? »
« La plupart ne s’arrêtent pas. Je lis dans leur regard qu’ils me trouvent louche. En plus, comme je n’ai pas de GPS puisque je les interroge, je suis sûrement un SDF miséreux qui s’apprête à les agresser. Résultat : je reste avec ma question sur les bras. »
« Il faut les rassurer. Dits leur : ne vous inquiétez pas ! J’ai quelque chose à vous demander ! »
« C’est encore pire. Les gens sont tellement stressés qu’il suffit de leur dire de ne pas s’inquiéter pour qu’ils se mettent à courir aux abris. »
« Il y a sûrement des gens qui vous écoutent. »
« A condition de les surprendre dans une attitude statique. Par exemple, à un arrêt de bus. Si je vous demande quelque chose quand vous attendez votre bus, vous ne pouvez pas passer votre chemin. Vous pouvez tout au plus espérer que votre bus arrive dans les secondes suivantes pour vous délivrer de mon insistance. »
« Il est vrai qu’au jour d’aujourd’hui, vous êtes supposé tout avoir : GPS, machine à laver, frigo, grille-pain, fer à repasser. Ce n’est plus comme dans le temps où l’on pouvait demander du sel à son voisin de palier. »
« Euh…mais je ne voulais pas vous demander du sel, je voulais juste savoir ce que vous pensez de la question : j’ai quelque chose à vous demander.»