Les dates
5 mars, 2015« Les hommes sont attachés viscéralement à des dates à condition qu’elles relèvent d’une tradition très lointaines. Il faut au moins cent ans pour former une bonne date. C’est le cas de celle de Noël ou de la Fête Nationale. Le 11 novembre commence à forger un sentiment d’attachement national. »
« Le cas du 8 mai est plus compliqué. Je ne suis pas sûr que les jeunes générations sachent qu’il s’agit de la date de la fin des hostilités de la seconde guerre mondiale. Actuellement le 8 mai tire sa popularité du fait qu’il intervient 7 jour après le 1er, et qu’il assure donc un deuxième jour de congé de suite, voire – les années fastes – un deuxième pont consécutif. »
« La transformation d’une date du calendrier en symbole national nécessite, en effet, beaucoup de temps. La tentative d’importer le 31 octobre – fête d’Halloween aux Etats-Unis – a fait long feu. A part quelques vendeurs de citrouilles ou de masques en carton, aucun français ne se sent vibrer à l’approche du 31 octobre. »
« La signification du troisième jeudi du mois d’avril échappe à tout le monde. C’est un point du temps qui a été établi récemment par quelques commerçants de matériel bureautique ou de fleurs. On appelle ça la fête des secrétaires. L’idée est de faire pression sur le moindre des petits patrons pour qu’il achète au minimum un petit bouquet de roses à sa collaboratrice. »
« La traditionnelle fête du beaujolais nouveau qui tombe le troisième jeudi de novembre est plus ancienne que celle des secrétaires d’une cinquantaine d’années, et bénéficie – par conséquent – d’une plus large audience. Elle tend à s’incruster peu à peu dans les esprits, mais souffre sans doute du caractère mouvant de son quantième à l’intérieur du mois de novembre. »
« Pour dire à quel point, une date de calendrier peut véhiculer – en elle-même – une part du sentiment d’adhésion à la collectivité locale, nationale ou humaine, il suffit de rappeler les tribulations du lundi de Pentecôte. Dans l’imaginaire des français, le week-end de Pentecôte, ce sont les premiers jours de beau temps. On dresse la table dans le jardin. On rend visite à la mémé ou à la tata à la campagne. On fait une petite promenade dans la nature qui s’éveille, après le déjeuner de midi. S’en prendre au lundi de Pentecôte, c’était s’en prendre à tout ça. Autant s’en prendre au ticket de tiercé du français moyen. »
«ll reste quelques dates qui n’ont pas atteint encore l’âge canonique qui permettra de les ranger au Panthéon des dates qui résonnent en chacun de nous, mais qui sont sur la bonne voie pour y parvenir. La plupart du temps, elles sont liées à des actions d’éclat, glorieuses ou funestes : le 6 juin ou le 11 septembre par exemple. Dans un autre registre, je prédis un grand avenir au 21 juin, fête de la musique. »
« A l’opposé, il y aussi des dates qui font rire. Certes, elles font rire depuis longtemps, mais elles n’accéderont jamais au top niveau des dates qui font frissonner l’échine. C’est le cas du 29 février ou du 1er avril. A-t-on idée de naître un 29 février ou un 1er avril ? »
« Imagine-t-on ce que serait une société sans calendrier. Une société où l’on aurait numéroté de 1 à N tous les jours depuis le 1er janvier de l’année 0. Quel embarras ! Comment tomber amoureux du jour 187 326 ? Comment fêter dignement le jour 56 981 ? »
« C’est rassurant. Dans cent ans, nos descendants auront le même calendrier que nous. Au moins un truc qui ne bougera pas. Au moins un truc qu’on leur lèguera en état de marche. Même les révolutionnaires de 1789 se sont cassé les dents à vouloir le changer. Heureusement ! Vous vous voyez fêter le 26 messidor à la place du 14 juillet. Il n’y a donc aucune raison que notre calendrier ne résiste pas au temps qui passe, tout en égrenant sa course. »