Vive le progrès
31 mars, 2015« Ma machine à laver le linge est en panne. Je ne sais pas la réparer pour la bonne raison que je n’ai jamais appris comment ça marche. Au lycée, j’ai pris option latin-grec. Si je fais appel à un réparateur, ça va me coûter les yeux de la tête. Moralité : j’achète une nouvelle machine. »
« C’est comme ma bagnole… Je n’ouvre plus le capot. Je me contente de prier pour qu’elle roule. Au moindre souci, je n’ai pas la moindre idée de l’origine de la panne. Mon garagiste non plus d’ailleurs. A part la vidange et le changement des balais d’essuie-glaces, il ne sait pas faire grand-chose. Le moteur est devenu une espèce d’ordinateur compliqué. Il faudrait faire venir un ingénieur américain ou japonais pour espérer faire la bonne réparation. »
« Finalement, les progrès de la technologie confortent notre capacité à croire dans l’au-delà. Moi aussi je prie tous les jours pour que mon PC n’efface pas d’un seul coup toutes mes données. Dans le temps, quand c’était l’opératrice de saisie qui officiait, on pouvait l’engueuler tranquillement. Maintenant, c’est vous qui tapez sur les touches. »
« Il n’y a plus de personnel pour les tâches matérielles. Résultat : au bureau, c’est moi qui fais tout. On nous a acheté une super photocopieuse que je ne sais absolument pas faire marcher. Chaque fois, je dois demander de l’aide à Dumollard qui me fait remarquer avec acidité qu’il n’est pas préposé à la photocopieuse. Ça introduit une légère tension entre nous. »
« Il n’y a pas qu’au bureau que le progrès me déstabilise. Quand j’essaie de soutirer un billet de train aux machines de la SNCF, je ne comprends rien, je me trompe, ça m’énerve et ça énerve le voyageur qui attend derrière moi puisqu’il y a une bonne chance que ma nullité lui fasse manquer son train. Dans le temps, on pouvait s’expliquer avec le préposé au guichet, même s’il fallait se coucher sur le comptoir pour lui parler à travers l’hygiaphone. »
« A la poste, il y a aussi des machines. Quand on ne sait pas les faire marcher, on a l’air bête. On est obligé de demander au personnel. Mais comme le personnel n’est plus derrière un guichet et se balade parmi les usagers, on ne sait plus qui est qui. Je ne vais tout de même pas demander de l’aide à un client qui sera encore plus nul que moi. »
« Bon, je ne me plains pas. J’ai tout de même réussi à faire fonctionner ma machine à faire des jus de fruit. Je ne m’escrime plus comme un dingue sur mon presse agrume manuel. »
« Je suis arrivé à programmer mon réveil matin, je ne suis plus tiré de mon sommeil toutes les demi-heures. »
« Quant à mon smartphone, alors là, j’ai encore des difficultés. Heureusement, pour téléphoner j’ai toujours mon téléphone fixe, pour savoir l’heure je regarde ma montre, pour la météo je demande à mon voisin, pour suivre mon poids de forme je monte sur la vieille balance de ma mère, et pour me souvenir de ce que je dois faire je couvre mon frigo de post-it. »
« Oui, quand l’homme n’avait rien, il fallait qu’il se débrouille en développant son imagination. »
« Maintenant qu’il souffre d’un excès de technologie, il faut qu’il se débrouille aussi. Avec en plus l’obligation d’avoir l’air parfaitement compétent. Moi, j’achète des trucs que je ne sais pas faire marcher, mais, au moins, j’ai l’air équipé. »
« A propos vous pourriez me prêter votre visseuse ? »
« Celle qui visse toute seule, vous ne préférez pas un tournevis ? »