Se bouger

« Au début, l’homme se déplaçait en hordes de lieux en lieux pour trouver sa pitance et des abris contre les intempéries. C’était une question de survie. »

« Puis, il a trouvé plus pratique et moins fatigant de se sédentariser et de cultiver sa terre pour se nourrir. Du coup, il restait dans son  village de naissance toute sa vie, sauf quand il était enlevé par des troupes de brigands ou enrôler dans les armées du Roi. »

« Aujourd’hui, l’homme se déplace de nouveau. Il n’est plus enlevé par des brigands, mais par les nécessités de sa profession. Il doit se montrer souple dans son entreprise et déménager d’un bout à l’autre de la France ou de l’Europe, si la loi du marché l’exige. Ce n’est plus une question de survie, c’est une question de survie professionnelle. »

« Mais il n’est pas question de dire qu’il s’agit d’un retour à l’époque préhistorique. Neandertal et consorts n’avaient pas d’autre but que de manger et de nourrir. Heureusement, aujourd’hui, l’être humain a des exigences culturelles plus élevées. La mutation professionnelle est considérée – comme ça se trouve – comme l’occasion d’accroitre ses connaissances et d’enrichir son potentiel humain. »

« Après une période de sédentarisation, l’homme a compris qu’il doit se bouger pour s’adapter à son environnement, lequel dicte le sens de son déplacement et fournit au déplacé de bonnes raisons de croire au bienfait de son déplacement. »

« En résumé, avoir envie de rester chez soi, là où on est allez à l’école, à la messe, au bal est caractéristique d’un inadapté social, voire d’un attardé mental capable de faire passer l’affection qu’il porte à sa terre natale avant l’impérieuse nécessité de s’adapter à la mondialisation des échanges. »

« Oui, en gros, c’est ça. Vous êtes un inadapté social et un attardé mental. »

« Mais j’y pense…. Vous aussi ! »

« Non, car moi, j’ai passé mes dernières vacances sur le route de Samarkand en Ouzbekistan. Lorsque vous voyagez pendant vos congés, vous marquez aussi votre intérêt pour autrui et votre volonté de vous adapter au monde. C’est bien considéré par les autres. Un peu moins que d’accepter une mutation en Sibérie, mais un peu tout de même… »

« Bon d’accord, vos voyages révèlent une belle ouverture d’esprit à d’autres civilisations. Sauf qu’il ne faudrait pas reconstituer à l’autre bout du monde le confort dont vous bénéficiez chez vous. D’après les cartes postales que vous m’avez envoyées de Java, vous vous l’êtes coulé douce dans votre hôtel cinq étoiles, entouré de jolies femmes. »

« Evidemment ! Moi, je veux bien voyager dans des pays inconnus, mais je ne veux pas retourner aux temps d’avant où il fallait se tailler un chemin à coups de machette dans la forêt vierge, avec le risque constant de se faire mettre en pièce par une bête féroce. Vive la mondialisation, mais restons vivants, en bonne santé et tout ira bien… »

« Bon d’accord, mais au village, tout de même… vous ne trouvez pas que la vie est douce, moins difficile qu’en Ouzbékistan ou en Indonésie. »

« Euh… peut-être, mais je vous fais remarquer que  non seulement vous n’êtes pas un esprit très ouvert, mais qu’en plus vous ne participez pas beaucoup au développement économique, ni au financement de l’industrie touristique des pays qui en ont besoin. Ne vous sentez-vous pas un peu responsable de la faim dans le monde ou même du terrorisme dans certains pays ? »

« Euh… et vous ? Que pensez de votre terrorisme intellectuel ? »

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