Un drôle de numéro
15 janvier, 2015« Vous connaissez votre numéro de Sécu ? Non… Vous devriez. Moi, c’est 1462851475396. »
« Vous en êtes content ? »
« Très. Finalement, c’est le seul critère qui me distingue vraiment des autres. Il est inviolable. Si on rangeait en file indienne les français selon leur numéro de Sécu, j’aurais ma place à coup sûr. C’est la marque indélébile de mon existence. »
« Oui, mais il y a peut-être d’autres moyens de se faire remarquer. »
« Peut-être, mais celui-ci est éternel. Avez-vous songé qu’après votre mort, plus personne ne pourra porter votre numéro de Sécu puisqu’il contient votre date de naissance et votre numéro d’arrivée à l’état-civil. »
« Je ne suis pas très sûr d’en avoir besoin après mon décès. Au Paradis, personne ne gère les fichiers des nouveaux arrivants. »
« Rien n’est sûr. Vous devriez quand même le mémoriser au cas où… »
« Mais nous avons aussi le numéro de téléphone qui nous caractérise ou bien le numéro minéralogique de la voiture. »
« Euh…. jusqu’au jour où on vous vole votre portable ou votre voiture. Non seulement vous n’avez plus de téléphone ou de bagnole, mais vous n’avez plus de numéro. Essayez donc de me voler mon numéro de Sécu… »
« D’accord, mais enfin, je peux me définir autrement que par mon numéro de Sécu. Par exemple par mon ADN ou mes empreintes digitales. »
« Vous aurez du mal à apprendre par cœur vos empreintes digitales tandis que le numéro de Sécu vous pouvez vous le réciter. Vous savez continuellement qui vous êtes exactement. »
« Mais enfin, j’ai des qualités physiques et intellectuelles qui me distinguent, c’est plus intéressant que le numéro de Sécu. »
« Ce n’est pas sûr. Sur 65 millions de français, il y a sûrement quelqu’un qui vous ressemble de très près sur le plan physique et intellectuel. Moi, ça me dérange. J’ai passé beaucoup de temps à forger ma personnalité. Si je rencontrais mon double, j’en serais mortifié. Heureusement, nous pourrions échanger nos numéros de Sécu. »
« Vous êtes curieux. »
« Si on pousse le raisonnement… Imaginez un peu qu’avec cette société qui standardise tout, nous soyons tous pareils un jour. «
« Ce serait la fin, on ne pourrait plus rivaliser, se battre, se jalouser, s’aimer pour ce que nous ne sommes pas. Bref, on ne pourrait plus se définir. Sans compter qu’on aurait tous les mêmes opinions politiques… Et puis, à la fin des fins, on pourrait fabriquer le modèle unique d’individu à la chaine en se passant de la procréation naturelle. »
« Exactement, c’est pour ça qu’il faut vénérer notre numéro de Sécu. Quand nous serons tous pareils, la Sécu et l’Etat seront quand même bien obligés de nous distinguer encore. »
« Vous avez raison, je vais l’apprendre par cœur. Quand j’aurais réussi à me souvenir de mon code de carte bancaire, de mon numéro de digicode, du numéro de portable de ma gamine, de l’âge de ma belle-mère et du mot de passe de mon PC. »