Archive pour le 13 janvier, 2015

Un amoureux de Lucienne

13 janvier, 2015

« Je n’ose pas déclarer ma flamme à Lucienne. »

« Il faudrait. On ne sait jamais, ça peut marcher. Mieux vaudrait en avoir le cœur net, plutôt que rester dans l’incertitude. Vous vous rendez malheureux. »

« Je serai malheureux de toute façon. Elle n’a pas l’air de s’intéresser à moi, je ne décèle pas une petite lueur joyeuse dans son regard lorsqu’elle pose les yeux sur moi. Quand je ne suis pas là, elle ne s’inquiète pas du tout de mon absence. »

« Effectivement, c’est mal barré. Mais vous devriez quand même lui faire part de votre penchant pour sa personne. Peut-être n’a-t-elle pas vraiment prêté attention à la vôtre. »

« Si je le fais, je vais être doublement malheureux. D’abord parce qu’elle va me dire que je suis bien sympa mais qu’elle n’envisage pas de relation sentimentale avec moi. Ensuite parce qu’après ça, je ne saurai plus comment la regarder. D’autant plus qu’elle m’aura proposé de rester ami avec elle. »

« Oui, mais si vous ne lui dites rien, vous allez être malheureux aussi. D’abord parce qu’elle ne continuera à ne pas prêter attention à vous, ensuite parce que vous allez vous en vouloir à vous-même de ne pas oser lui avouer vos sentiments. »

« Si je comprends bien, j’ai le choix entre être doublement malheureux et doublement malheureux. C’est très gai comme histoire. »

« Et encore vous n’avez rien vu. Non seulement vous êtes malheureux parce qu’elle ne semble pas être intéressée et parce que vous vous trouvez ridicule de ne pas essayer de l’approcher, mais en plus vous vous sentez frustré en vous disant que vous vous faites peut-être des idées, qu’elle est peut-être très intéressée et qu’en ne tentant pas votre chance, vous allez passer à côté de la femme de votre vie. »

« Donc d’après vous, il faut que j’essaie. D’accord, mais il me faut une solution de secours pour ne pas perdre la face en cas d’échec. »

« Euh… non. De toute façon, dans ce genre de situation, vous perdrez la fille. Et la face. C’est double punition. C’est comme ça. Contrairement à l’opinion répandue, ce sont les femmes qui mènent le grand bal de la Séduction.  Et elles ne le savent pas, mais elles sont très cruelles. Votre problème, ce sera de vous en remettre. »

« C’est compliqué, je n’envisage pas la vie sans elle. Je n’envisage pas de me mettre en couple avec la première femme qui voudra bien se contenter des restes. »

« Allons, allons ! Vous n’êtes pas prêt aujourd’hui, mais il y a sûrement une autre Lucienne qui vous attend quelque part. »

« Vous n’avez pas son adresse ?»

« Euh… c’était une façon métaphorique de m’exprimer. En fait, dites-vous que ce n’est pas Lucienne que vous aimez, mais l’idée que vous vous faites de la compagne parfaite, idée que vous avez envie de personnifier et c’est tombé sur cette pauvre Lucienne qui ne vous a rien demandé. »

« Bon, si je comprends bien, le mieux serait de lui dire que je ne l’aime pas, mais par contre que j’aime sa façon de me donner l’image de ce que mon cerveau confus imagine être la femme parfaite. »

« C’est un peu compliqué, mais ça pourrait peut-être vous permettre de sauver la face. Si vous vous ramassez un râteau, ce ne sera pas de votre faute, mais celle de votre esprit qui vous fabrique des images inaccessibles. »