Archive pour novembre, 2014

Le zircon

20 novembre, 2014

« L’âme, l’esprit, l’intelligence, l’imagination, les sentiments, l’intuition…. Tous ces trucs impalpables qui m’encombrent la tête, qu’est-ce c’est compliqué ! Je ne m’y retrouve pas ! »

« Moi, non plus. On a tous un tas de trucs abstraits avec lesquels il faut se débrouiller comme on peut. Mais c’est aussi ce qui distingue l’homme de la machine. »

« Quand on appuie sur le bouton d’une machine, on sait ce qui va se produire, mais quand vous avez une action sur un individu, on peut s’attendre à tout. »

« Il y a quand même des moments rassurants. Par exemple quand j’ai dit : ‘il n’y a plus de café’ à ma femme, ce matin, elle m’a répondu : ‘tu n’avais qu’à penser à en racheter ‘. C’est normal et attendu comme réponse. »

« Oui, mais ça marche pas tout le temps. Moi quand j’ai dit à mon gamin d’aller faire ses devoirs, il y est allé ! »

« Curieux, en effet. »

« Autrement dit, entre humains, on n’est jamais sûr de rien. Quand vous avez compris ça, ça vous remet en place. Dugenou, le PDG qui veut toujours du concret n’a rien pigé, il ne sait pas qu’il ne gouverne que des abstractions. »

«Ce pauvre Dugenou, il est un peu embêté. C’est vrai que dans la boite crânienne de ses ouailles, il n’y a que des choses abstraites. Le pire, c’est que ses employés étant doués de parole, ces derniers essaient d’exprimer ce qu’ils ont dans la tête. Alors, forcément Dugenou a l’impression qu’on essaie de l’embobiner avec des baratins qui n’ont rien de concret. »

« Bon, tout ça ne me dit pas ce que c’est que l’âme ou l’esprit. J’ai posé la question à Dugenou, il m’a dit qu’il avait du travail. »

« Moi, j’ai résolu le problème. Tous ces trucs irréels qui vous encombrent le cerveau, je les ai regroupés sous un seul terme : le ZIRCON. Comme ça, je suis tranquille, chaque fois que je pense à quelque chose de complètement loufoque ou irrationnel, je me dis que c’est mon zircon qui fait encore des siennes. »

« C’est intéressant, je vais moi aussi essayer le zircon. »

« Quand Josiane m’a demandé si je tenais à elle, j’ai interrogé mon zircon qui était d’accord. Ou quand Dugenou m’a demandé d’augmenter mon chiffre d’affaires parce qu’il veut des résultats concrets, je lui ai répondu que son obsession heurtait mon zircon et que ce n’est pas en le harcelant qu’il obtiendra ce qu’il veut. »

« Et alors ? »

« Il m’a répondu de lui envoyer Zircon pour qu’il lui explique la réalité de l’entreprise. »

« On peut se demander si Dugenou a une âme, un esprit, des sentiments… »

« Personne n’est sûr qu’il a dépassé le stade de la machine. »

Géographie fluviale

19 novembre, 2014

Maria est son amour

Elle a un cheval qu’elle monte en amazone.

C’est une vilaine actrice

Qui monte néanmoins sur scène.

Elle exhale une odeur rance.

Il lui a fait don de sa personne.

C’est son héros.

Il a les reins solides.

C’est une vraie bête de somme.

Respect !

18 novembre, 2014

« Vous me couvrez d’éloges. C’est très suspect. »

« Vous n’aimez pas qu’on dise du bien de vous ? »

« Non, du mal non plus d’ailleurs. Mais j’aime bien être remarqué. Je ne supporte pas que ma personne laisse les autres indifférents. »

« Bon, alors qu’est-ce qu’on peut dire de vous ? »

« Rien. Vous n’avez pas à parler de moi, je suis là pour ça. Quand je m’exprime sur ma personne, contentez-vous d’avoir l’air très intéressé. Vous n’avez pas à en rajouter. Vous ne connaissez pas le sujet. »

« Mais vous, vous colportez des on-dit sur le dos des autres. »

« J’ai de l’expérience. Je sais très bien détecter les qualités et les défauts de mon voisin, surtout les défauts qui m’agacent. »

« Votre voisin ne peut-il pas faire la même chose sur vous ? »

« Non, je vous dis ! Ce n’est pas pareil. Moi, je suis impénétrable. Personne ne me connait. Je ne supporte pas d’être catalogué. »

« Autrement dit, vous vous prenez pour le bon Dieu. Celui qui juge et qui n’a pas à être jugé ! »

« Ah ? Il est comme ça le bon Dieu ? Je croyais être le seul dans mon cas. »

« Si vous continuez comme ça, on dira de vous que vous n’êtes qu’un prétentieux. »

« Tout ça parce que je n’aime pas qu’on parle de moi à torts et à travers. Vous aimez ça, vous ? Hein ? »

« Euh, je m’en fiche un petit peu. »

« Moi, j’ai besoin d’être respecté. »

« C’est quoi le respect ? Ça consiste en quoi ? Pour respecter quelqu’un, il faut fatalement en parler. Je ne peux pas dire : je ne dis rien sur untel puisque je le respecte. Je devrais nécessairement parler de la raison pour laquelle je respecte untel. »

« Le respect, ça se lit dans le regard d’autrui. Je dois lire de la considération dans vos yeux, quelque chose qui me dise que je suis important pour vous. Il y a trop de gens qui me regardent comme quantité négligeable, enfin… quand ils me regardent, ce qui ne leur arrive pas souvent. »

« Donc, je retire mes éloges. »

« Euh… non… faites-les un peu plus subtilement. Faites comme si les bienfaits que je dispense autour de moi sont naturels de la part d’un homme de ma trempe. Vous pourriez même proférer mon éloge en ajoutant que cela va sans dire, tout en le disant quand même. Dans ces conditions, je serais plus à l’aise, chacun sera au courant de mes qualités, tout en ayant du respect pour mon humilité. Le pied, ce serait que vous laissiez entendre que je vous ai demandé de ne pas insister sur mes qualités. Alors là, je serai regardé comme un héros. On appréciera ma grande modestie. »

« Donc je ne dis pas de bien de vous, tout en disant que c’est vous qui m’avez demandé de ne pas dire du bien de vous ? »

Musique !

17 novembre, 2014

Octave était marié

Avec Jeanne, une noire,

Un vrai canon.

Ils vivaient en parfaite harmonie.

Ils étaient d’accord sur tout.

Elle avait la clé de ses rêves.

Ils avaient même ouvert un compte sur livret.

Quand elle fut ronde,

Il hurla sa joie sans mesure.

Chez soi

16 novembre, 2014

« Au début les hommes se déplaçaient. En horde, le plus souvent. Ils se nourrissaient de ce qu’ils trouvaient sur leur chemin. Et puis, un jour, l’un d’entre eux, plus futé que les autres, a trouvé qu’il était plus sûr de faire pousser soi-même des plantes nourricières plutôt que de compter sur le hasard  de ses promenades pour manger. Il a planté son champ de blé. »

« Et c’est là qu’a commencé la sédentarité et ont débuté les ennuis. »

« Oui, il avait marqué sa terre et il fallait le défendre contre ceux qui continuaient à se baguenauder dans la nature en se servant, sans vergogne, de tout ce qu’ils trouvaient sur leur passage. Le concept de territoire était né et les guerres territoriales aussi. »

« Il devait s’embêter, tout seul sur son champ, l’arme au pied. »

« Non, car une belle femme s’est arrêtée et l’a épousé. Ils ont fondé une famille et ont eu des enfants, lesquels pour la première fois pouvaient dire qu’ils étaient « de quelque part ». Et puis, comme ils ont joué et grandit auprès de la ferme, ils n’avaient pas envie de la quitter plus tard. Ils ont bâti leur maison un peu plus loin et tout ça, c’est devenu un village où cousines et cousins vivaient bien tranquillement. »

« Ce n’est plus comme ça, aujourd’hui. Actuellement, naitre, vivre, travailler et mourir au pays, c’est mal. Il faut faire preuve de mobilité. Il faut chercher l’emploi là où il est. Il faut s’enrichit de la culture des autres etc… »

« Bientôt, on aura des communes ou des territoires dans lesquels ne vivront que des habitants nés ailleurs. »

« Ce qui n’empêche pas les autorités de vénérer le folklore local et d’entretenir les traditions de nos ancêtres. Alors je pose une question : lorsque tous les bretons auront quitté la Bretagne pour s’enrichir d’autres cultures… qui restera pour jouer du biniou ? »

« Vous avez raison, nous revenons petit à petit à des réflexes préhistoriques. Le déplacement est valorisé. L’immobilité géographique est déconsidérée puisqu’elle est contraire aux lois des marchés qui affectent les ressources là où elles seront les mieux employées. »

« D’autant plus que la disparition progressive de l’agriculture implique que l’homme n’a plus besoin de construire son territoire et de s’assoir dessus, le mors aux dents. Le blé, on le fera venir d’ailleurs, là où les gens ont encore un territoire et quelques guerres territoriales. »

« Le territoire va disparaitre, puisqu’on ne se rencontrera plus entre habitants à l‘église, au guichet de la Poste ou devant les grilles de l’école. Mais il y a encore plus fort. Tout se déroulera par Internet qui va abolir non seulement le territoire, mais aussi la distance entre territoires. Vous pouvez commander vos chaussettes à l’autre bout de la Terre au même titre que chez la mercière du coin qui, d’ailleurs, a fermé boutique depuis longtemps. »

« Vous exagérez ! Il reste des territoires. Par exemple la France est un territoire…. »

« … Qui fait de plus en plus partie de l’Europe ! Nous sommes donc dans un monde étrange où plus rien ne fixe l’individu qui n’a de cesse que de reconstruire un « chez lui » pour se sentir bien. Par exemple, les Auvergnats qui vivent à Paris ont créé la communauté des Auvergnats de Paris. Le résultat de tout ça, c’est que l’homme dès qu’il a deux jours de congés se précipite sur sa terre natale. »

« Je comprends, c’est pour ça que nous sommes dans les embouteillages depuis deux heures, un jour de Toussaint »

 

La vie n’est pas un long fleuve tout droit

15 novembre, 2014

La péniche de Jean suit les méandres du fleuve.

Jean n’est pas un tordu.

C’est un grand joueur d’échec qui maitrise la diagonale du fou.

Dans les tournois, il ne s’est jamais incliné.

La courbe de ses succès ne faiblit pas.

Lorsqu’il se penche sur l’échiquier

Il lance un regard oblique à son adversaire

Qu’il terrasse sans détours.

Nos mauvais poèmes

14 novembre, 2014

Johny était un corsaire

Un peu faussaire

Il fut arrêté par le commissaire

Le jour de son anniversaire

Ses hommes firent le nécessaire

Pour lui envoyer un dessert.

Pour le libérer, ils bossèrent

Mais il leur dit : à quoi ça sert ?

Je suis un bouc-émissaire.

Défaut ou qualité ?

13 novembre, 2014

« La vanité est un vilain défaut. L’oisiveté aussi. Et puis la méchanceté pendant qu’on y est. D’ailleurs tous les défauts sont très vilains. »

« C’est sûr : si on a le choix, il vaut mieux avoir des qualités. Par exemple, savoir s’imposer en société en faisant étalage de son savoir et de son savoir-faire ! C’est un atout indispensable pour réussir sa vie. »

« Mais ça ne va pas ! C’est de la vanité ça ! »

« Peut-être, mais parfois la vanité, c’est bien. C’est une catégorie de défauts particuliers. Il y a des moments où c’est bien, et des moments où ce n’est pas bien, ça devient alors un gros défaut. Vous comprenez ? »

« Oui, mais alors, il faut être bien réveillé pour saisir le bon moment où la vanité devient une qualité ! »

« Autre exemple d’un défaut qui peut être une qualité. Je suis directeur, assis dans mon bureau. Je distribue le travail, je délègue, je ne me crois pas indispensable. Pendant que les autres s’absorbent dans leurs tâches quotidiennes, je peux me reposer tranquillement dans mon bureau. Je peux même réfléchir à des options stratégiques ! Et puis, je suis plus disponible pour peu qu’on respecte mes périodes de réflexion. »

« C’est de l’oisiveté ! »

« Pas du tout. C’est une occupation rationnelle des compétences. Je suis beaucoup plus efficace quand je ne mets pas les mains dans le cambouis. J’ai un recul très intéressant sur les activités de mon entreprise. »

« Vous n’auriez pas encore un exemple pour que je comprenne la différence entre qualité et défaut ? »

« Si ! Si ! Dans la vie, il faut savoir se battre. Manger ou être mangé. Ainsi, je n’ai pas hésité à colporter le bruit que Dumoulin buvait pendant les heures de travail de façon à ce qu’il n’obtienne pas le poste de directeur-adjoint qui, de toute évidence, devait me revenir. J’ai su préserver mes intérêts. »

« Mais c’est de la méchanceté ! C’est un très gros défaut ! »

« Pas du tout ! C’est une stratégie de survie. Vous devriez vous en inspirer. Si vous pensez que le monde vous attend les bras ouverts pour reconnaître vos mérites, alors là, laissez-moi rire ! »

« Si je comprends bien, vous êtes doté de très gros défaut qui deviennent, par miracle, de grandes qualités dès lors que vous vous en saisissez. »

« Oui et je me trouve particulièrement honnête de le reconnaitre sans vergogne. L’honnêteté est une grande qualité à condition de savoir s’en servir, sinon c’est une qualité qui tourne vite au défaut. Elle peut alors s’appeler naïveté. »

« Décidemment, vous êtes un homme exemplaire. »

« Arrêtez, arrêtez, je ne veux pas devenir un vulgaire vaniteux. »

« Ce serait dommage, en effet. »

Histoire de métaux

12 novembre, 2014

 

Louis a beaucoup d’argent

Il en parle peu, car le silence est d’or

En été, lorsque le mercure monte

Il bronze sur sa terrasse

A midi, le soleil est de plomb.

Il souffre.

Il regarde sa montre à quartz

Et rentre pour ne pas prendre la couleur du corail.

Il s’occupe alors des chromes de ses voitures.

Nos peurs

11 novembre, 2014

« Vous avez remarqué ? Nous passons notre vie à avoir peur. Ça commence dès le début. Quand le bébé sort des entrailles de la mère, il hurle de terreur. »

« Il y a de quoi… »

« Ensuite, il faut dormir dans le noir. Moi, je regardais tous les soirs sous mon lit pour m’assurer qu’aucun monstre n’aurait la détestable idée de me dévorer dans la nuit. »

« C’est vrai, après il y a la crainte de l’instituteur qui ne manque pas d’être désagréable pour une petite leçon mal apprise. »

« Plus généralement, l’enfant a peur de tous ceux qui ont la prétention de lui apprendre la vie : les parents, l’instit, les profs, les curés… »

« Et ne parlons pas de l’adjudant-chef quand le jeune homme passait au service militaire. »

« Bien entendu, la scolarité est parsemée d’embûches que l’adolescent redoute. Le bac par exemple. 80 % des élèves le décrochent. La trouille de figurer parmi les 20 % restants est d’autant plus forte ! »

« Après, on aborde le top des peurs obligatoires. La peur du chômage. Il faut être bien sage, bien obéissant à l’Autorité. Sinon, hop ! Chômage. Et une fois qu’on y est, on traine avec soi la hantise de ne pas retrouver d’emploi. Elle finit par s’inscrire sur votre visage de sorte que vous découragez des employeurs éventuels. »

« Vous avez raison. Et à supposer que le jeune homme qui commence à vieillir surmonte cette épreuve, il tombe directement sur la crainte de la maladie. Un must. On a le choix entre l’hypertension, la dépression, l’infarctus… »

« Quand par hasard, l’homme obtient un emploi, le voilà dans la hantise de déplaire à la hiérarchie qui a tout pouvoir pour le renvoyer d’où il vient. Cette peur se combine d’ailleurs très bien avec celle de se détester soi-même, s’il se rend compte qu’il n’est pas capable de résister à la pression des chefs ! »

« Chemin faisant, on se marie parce que ça se fait, mais on craint de le faire puisqu’un mariage sur deux ou sur trois se finit par un divorce. Autrement dit, on se précipite tête baissée dans les problèmes, on supplie en tremblant les dieux pour qu’ils vous les évitent et on les a quand même ! »

« Je vous raconte pas la trouille qui nous saisit dès qu’on fait des enfants. Au début, on imagine qu’ils vont attraper toutes sortes de maladie. Dès qu’ils marchent, on est obligé de courir après pour éviter qu’ils tombent. A l’école, on a peur qu’ils fassent partie des nullards. Plus tard, on leur fait un petit peu peur avec le chômage pour qu’ils cherchent à l’éviter … ça n’en finit pas. »

« Il ne faut pas compter sur un moment de répit. Quand arrive le vieillissement, l’être humain a forcément peur de sa fin. C’est qu’il est tellement fier d’avoir eu peur toute sa vie qu’il a du mal à penser que ça puisse finir. Et puis, à dire vrai, il a surtout peur de souffrir. »

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