Un homme providentiel
27 novembre, 2014« Comment se fait-il qu’on est toujours en train de chercher un homme providentiel ? »
« Parce qu’on a tous envie de se reconnaître dans un justicier solitaire. On a envie de se dire qu’on a tous son courage, son abnégation, son dévouement. Autrement dit, il faut que vous et moi ayons toutes ces qualités incarnées sous nos yeux ébahis pour que nous soyons convaincus d’avoir les mêmes. En plus si c’est un chef, c’est encore mieux, parce qu’on peut se dire qu’on a un exemple à suivre qui nous plait. »
« Euh… pourtant beaucoup d’hommes politiques finissent devant les juges. »
« Oui, mais ce ne sont pas des hommes providentiels. L’homme providentiel, c’est celui qui ne se fait pas prendre. S’il peut mourir en héros, c’est encore mieux. »
« Comme Jeanne d’Arc… »
« C’est ce qu’on fait de mieux en matière d’homme providentiel. Elle est pauvre, pucelle, mystique et c’est une femme. Et brulée vive. Son image est à l’abri de toutes les bassesses. »
« Moi, j’aimerais bien un homme providentiel vivant. »
« C’est très compliqué. Aujourd’hui, tout le monde a quelque chose à se reprocher : un conjoint en trop, un compte en banque trop garni, un passé d’activiste douteux, des mauvaises notes à l’école. Comment voulez-vous incarner la Providence dans ces conditions ? »
« Je pourrais peut-être être Celui que tout le monde attend ! »
« Non, je ne pense pas. Vous n’avez peut-être pas de compte en Suisse, mais vous n’avez pas non plus de charisme. Quand je vous regarde, je sens tout de suite que votre cote de popularité dans les sondages va sombrer avant même d’avoir augmenté. »
« C’est sympa. Mais finalement, est-ce qu’on a besoin d’un Sauveur ? Nous pourrions peut-être nous débrouiller entre nous tranquillement. Je n’ai pas tellement envie de m’incarner dans qui que ce soit. J’ai beaucoup de qualités et je le sais sans être obligé de les observer dans le comportement d’un autre. »
« Donc, vous êtes un anarchiste. Vous ne voulez d’aucun pouvoir. »
« Non. Il faut bien quelqu’un pour établir les règles de vie en commun. Il n’y a pas besoin d’avoir l’air d’un héros de l’Histoire pour ça. »
« Ah, nous y voilà ! Vous voudriez un homme ordinaire pour vous gouverner. Bin, non… ça ne va pas non plus. Pour bien vivre, chacun a besoin d’un bon revenu, mais aussi d’une espérance que le chef saura lui faire miroiter. Sinon, le citoyen se demandera pourquoi il va au turbin chaque matin, et tout ça se terminera dans la morosité. »
« Si je comprends bien, quand un bébé vient au monde, il faut le nourrir, le soigner, l’éduquer et en plus qu’un gourou lui explique qu’il faut voter pour lui, moyennant en quoi, il sera plus heureux qu’il n’est au moment de l’élection. Même s’il est déjà heureux. »
« C’est à peu près ça. Chacun a besoin d’un homme providentiel au même titre qu’un père et qu’une mère. L’homme a besoin de suivre des traces, sinon il ne fait que des bêtises. Quand on sait où mènent les traces, c’est encore mieux. »
« C’est défendu de ne pas suivre les sentiers battus ? »
« Non, mais dans ce cas vous êtes un homme providentiel ou un gangster. Ou alors les deux. »