Archive pour le 25 novembre, 2014

Leçon de langue de bois

25 novembre, 2014

« Je veux du concret. Avec moi, pas de bla-bla. Des résultats. »

« Vous croyez que je peux dire ça ? Je vais passer pour un inculte, sans idée. »

« Pas du tout. Les idées, c’est long, c’est filandreux, c’est difficile à comprendre. Bref, ça fait perdre du temps. Pas de ça avec vous ! Aucun risque que ça vous arrive ! Vous allez passer pour quelqu’un de rétrograde si vous ne parlez pas de choses concrètes. »

« Mais il faut pourtant bien avoir des idées pour avancer dans le travail. »

« Non, pas spécialement. Je peux vous donner des trucs qui marchent à tous les coups et qui feront de vous un homme résolument tourné vers l’avenir. »

« Ah bon ? Attendez, je note. »

« Par exemple : il faut de la mobilité, il faut se bouger pour ne pas s’encrouter … »

« Mais si les gens sont bien là où ils sont ? »

« Aucune importance, vous n’avez qu’à dire que ce sont des assistés sociaux. »

« C’est très insultant… »

« Oui, c’est fait exprès. Vous dites ça et vous passerez pour un homme à poigne qui n’a pas peur d’exercer son autorité. Si on vous conteste, vous pouvez ajouter que vous êtes comme vous êtes et qu’il faut vous prendre comme vous êtes. »

« Oui, mais quand même… ça ne suffit toujours pour être efficace. »

« C’est sans importance : si les choses vont mal, dénoncez les planqués, notamment les fonctionnaires qui n’en foutent pas une rame. C’est un truc qui marche bien. Vous pouvez aussi dire qu’à l’étranger, ça se passe beaucoup mieux et que le mal est bien français. »

« Quel mal ? »

« J’en sais rien. Tous les maux, ça n’a pas d’importance. C’est toujours mieux en Allemagne ou aux USA. Evitez de citer l’Italie ou l’Espagne. »

« Mais si je veux mettre en avant mon côté humain… »

« Il faut en avoir un, mais pas trop quand même. Dites que vous aimez travailler en équipe ou alors que le boulot ne vous empêche pas de savoir vous reposer et de partir en vacances. A l’étranger, bien sûr. »

« Tout ça, ça va me faire passer pour un inculte, pour un cadre qui a cédé à la civilisation de la performance, des indicateurs de résultats et du consumérisme ! »

« Pas de problème. Vous pouvez aisément vous en sortir en vous indignant contre la guerre où qu’elle soit. C’est dégoutant ! Il suffirait que les parties se mettent autour d’une table ! Vous pouvez aussi tranquillement critiquer les jeunes qui –comme chacun sait – n’ont plus de repères, plus de valeurs et qui sortent du lycée sans savoir lire et écrire… »

« C’est pas mal en effet…. Je serai un homme droit sans concession… Je pourrais même ajouter que dans la vie, il faut savoir ce qu’on veut ! »

« Eh ben, vous voyez ! Quand vous voulez, vous aussi vous pouvez être nul ! »