Chez soi
16 novembre, 2014« Au début les hommes se déplaçaient. En horde, le plus souvent. Ils se nourrissaient de ce qu’ils trouvaient sur leur chemin. Et puis, un jour, l’un d’entre eux, plus futé que les autres, a trouvé qu’il était plus sûr de faire pousser soi-même des plantes nourricières plutôt que de compter sur le hasard de ses promenades pour manger. Il a planté son champ de blé. »
« Et c’est là qu’a commencé la sédentarité et ont débuté les ennuis. »
« Oui, il avait marqué sa terre et il fallait le défendre contre ceux qui continuaient à se baguenauder dans la nature en se servant, sans vergogne, de tout ce qu’ils trouvaient sur leur passage. Le concept de territoire était né et les guerres territoriales aussi. »
« Il devait s’embêter, tout seul sur son champ, l’arme au pied. »
« Non, car une belle femme s’est arrêtée et l’a épousé. Ils ont fondé une famille et ont eu des enfants, lesquels pour la première fois pouvaient dire qu’ils étaient « de quelque part ». Et puis, comme ils ont joué et grandit auprès de la ferme, ils n’avaient pas envie de la quitter plus tard. Ils ont bâti leur maison un peu plus loin et tout ça, c’est devenu un village où cousines et cousins vivaient bien tranquillement. »
« Ce n’est plus comme ça, aujourd’hui. Actuellement, naitre, vivre, travailler et mourir au pays, c’est mal. Il faut faire preuve de mobilité. Il faut chercher l’emploi là où il est. Il faut s’enrichit de la culture des autres etc… »
« Bientôt, on aura des communes ou des territoires dans lesquels ne vivront que des habitants nés ailleurs. »
« Ce qui n’empêche pas les autorités de vénérer le folklore local et d’entretenir les traditions de nos ancêtres. Alors je pose une question : lorsque tous les bretons auront quitté la Bretagne pour s’enrichir d’autres cultures… qui restera pour jouer du biniou ? »
« Vous avez raison, nous revenons petit à petit à des réflexes préhistoriques. Le déplacement est valorisé. L’immobilité géographique est déconsidérée puisqu’elle est contraire aux lois des marchés qui affectent les ressources là où elles seront les mieux employées. »
« D’autant plus que la disparition progressive de l’agriculture implique que l’homme n’a plus besoin de construire son territoire et de s’assoir dessus, le mors aux dents. Le blé, on le fera venir d’ailleurs, là où les gens ont encore un territoire et quelques guerres territoriales. »
« Le territoire va disparaitre, puisqu’on ne se rencontrera plus entre habitants à l‘église, au guichet de la Poste ou devant les grilles de l’école. Mais il y a encore plus fort. Tout se déroulera par Internet qui va abolir non seulement le territoire, mais aussi la distance entre territoires. Vous pouvez commander vos chaussettes à l’autre bout de la Terre au même titre que chez la mercière du coin qui, d’ailleurs, a fermé boutique depuis longtemps. »
« Vous exagérez ! Il reste des territoires. Par exemple la France est un territoire…. »
« … Qui fait de plus en plus partie de l’Europe ! Nous sommes donc dans un monde étrange où plus rien ne fixe l’individu qui n’a de cesse que de reconstruire un « chez lui » pour se sentir bien. Par exemple, les Auvergnats qui vivent à Paris ont créé la communauté des Auvergnats de Paris. Le résultat de tout ça, c’est que l’homme dès qu’il a deux jours de congés se précipite sur sa terre natale. »
« Je comprends, c’est pour ça que nous sommes dans les embouteillages depuis deux heures, un jour de Toussaint »