Archive pour septembre, 2014

Les forces invisibles

30 septembre, 2014

« Le monde se partage en trois catégories d’entités : les objets, les êtres vivants et les forces invisibles. Les objets n’ont pas beaucoup d’intérêt, ils ont pour seul destinée de remplir leur fonction. On n’a jamais vu une paire de pantoufles devenir autre chose qu’une paire de pantoufles. Les êtres vivants vivent – comme leur nom l’indique – c’est-à-dire qu’ils se transforment avec le temps. Parmi les êtres vivants, nous avons les hommes… »

« Ce sont eux les maîtres du monde !»

« Pas du tout. Les objets et les êtres vivants font partie du décor. Les vraies vedettes sont les forces invisibles, ce sont elles qui animent la vie. »

« Le problème avec le forces invisibles, c’est qu’on ne les voit pas. Par exemple, on a mis des millions d’années à s’apercevoir qu’on survivait grâce à l’air de l’atmosphère. »

« C’est exact. Les forces invisibles n’ont aucun intérêt à se faire connaitre. Mais l’homme les recherche pour mieux les maitriser et voler leur rôle de vedette. Par exemple, nous pouvons faire les malins puisque nous pouvons communiquer dans le monde entier après avoir domestiquer les ondes radio. C’est ce qu’on appelle le progrès. Quand l’homme maitrisera tout, il passera à l’avant-scène, mais je ne suis pas sûr qu’il y reste longtemps. »

« Heureusement l’Homme a passé son temps a créée des forces invisibles, par exemple les Dieux. Il a imaginé des entités qu’il vénère et qui sont supposées lui dicter sa conduite. C’est pareil de la morale, du bien, du mal, du beau, du pas beau, etc… »

« C’est-à-dire que d’un côté, il cherche à maîtriser l’invisible, tout en accroissant sa présence d’un autre côté. Il voudrait lui voler la vedette, tout en se méfiant de son rôle. C’est quand même assez curieux comme comportement. »

« Vous en avez de bonnes, on ne peut tout de même pas empêcher les progrès de la connaissance. »

« Non, mais on peut se demander où ça va nous mener. »

« Vous avez raison. Prenons un exemple : le temps. C’est une des grandes forces invisibles. La particularité, c’est qu’on ne le voit pas, mais qu’on le constate. Imaginons qu’on le maitrise un jour. On pourra l’arrêter, l’accélérer, et même le remonter. Je n’ai aucune envie de me retrouver en tête-à-tête avec ma grand-mère, nous ne nous entendions pas très bien. »

« Sans compter que maitriser le temps, c’est maitriser la mort. Alors si on ne meurt plus, je vous laisse imaginer le chambard qui va s’en suivre… »

« Finalement, les progrès de la connaissance ne sont pas toujours des progrès lorsqu’ils consistent à réveiller des démons invisibles. Pendant des siècles, on a vécu sans l’Amérique. Si Christophe Colomb ne l’avait pas découverte, on ne serait pas envahi par le Coca-Cola ou la mal-bouffe.  Si on n’avait pas découvert Internet, on pourrait encore prendre la peine d’écrire à la main nos vœux de Nouvel An, d’acheter un timbre et de les porter à la boîte aux lettres. Celui qui les recevait savait que nous avions pris de la peine pour lui témoigner notre affection. »

« Bon, alors, résumons-nous. Nous les hommes, nous ne sommes que des figurants et chaque fois que nous essayons de passer sur le devant de la scène, on prend le risque que les forces de l’invisible en prennent ombrage et se vengent sur nous de manière insidieuse, par exemple grâce au Coca ou à l’obésité infantile  ou à la réapparition de votre grand-mère ! »

« C’est gai ! »

Un multi-poème

29 septembre, 2014

A l’aube, à l’heure

Où Jean et Marthe descendent au jardin pour voir leurs roses,

Jeanne regarde la Seine couler sous le pont Mirabeau.

Louis, un riche laboureur, qui ne vivra pus longtemps

Joue du cor de chasse au fond de la forêt.

La Marquise observe les rides de son amant un peu vieux.

Ulysse est à Orly, de retour d’un long voyage

Près d’Angers, où il a goûté la douceur

De Berthe, qui sanglote longuement en jouant du violon.

Près de la mer, un poète prend son luth

Et se demande combien de marins regagneront leurs bords.

Où est le Beau ?

28 septembre, 2014

« Travailler use la santé, c’est pour ça qu’on a inventé les vacances. »

« Ceci dit, en contrepartie de son usure physique, le travailleur reçoit un salaire. Il travaille pour obtenir un salaire qui lui permet de se nourrir et de se distraire, tout en s’usant. »

« Celui qui ne travaille pas s’use physiquement en raison du vieillissement de ses cellules. »

« Autrement dit on a le choix entre s’user plus vite grâce au travail, performance pour laquelle on est rémunéré, et s’user à vitesse normale. »

« C’est gai votre truc ! Il faut tenir compte des progrès médicaux qui retardent le vieillissement naturel du corps humain. »

« Vous avez raison, c’est comme les piles électriques qui durent plus longtemps que longtemps, mais à la fin, il faut bien les jeter quand même. »

« Vous êtes pessimiste. Le travail peut être source d’une satisfaction personnelle qui elle-même permet d’entretenir la bonne santé et donc notre longévité. »

« A condition d’avoir un job créatif. Quand je me vois faire ce que mon chef Dugenou me dire de faire, je ne me sens pas tellement créatif. »

« Certes, mais tout le monde ne peut pas être Picasso ou Zidane. Il faut vous trouver une source de contentement. Déjà avoir un boulot… »

« Nous y voilà… Il faut être soulagé de ne pas être au chômage. La seule source de satisfaction que la société nous permet, c’est de ne pas être dans la misère. Moi, ça ne me convient pas tellement… »

« Le problème, c’est qu’il vous faudrait un talent particulier pour avoir une activité créatrice. »

« Euh, c’est obligé de créer quelque chose ? »

« C’est mieux, mais si vous n’y arrivez pas vous pouvez avoir une activité de contemplation des œuvres des autres : lire, visiter les musées, aller à l’opéra…. Remarquez ça revient un peu au même : quand vous vous cultivez, vous éveillez en vous l’Idée du Beau. »

« C’est sûr que ce n’est pas dans les réunions de service, animées par Dugenou que je vais me pâmer devant la Beauté du Monde. »

« Je vous trouve un peu sarcastique, on peut trouver du beau dans beaucoup de situations : un sourire, une attitude… »

« D’accord, mais alors pas au bureau. C’est chacun pour sa pomme… Finalement, il n’existe pas de beauté dans les circuits économiques où prévaut la raison du plus fort. La jungle n’est pas un endroit esthétique. »

« Et à la cantine ? »

« Encore moins, c’est là que tous les coups bas s’élaborent ou que les comptes se règlent entre la poire et le fromage. »

« Bon, alors il faut vous réaliser à l’intérieur de votre vie en couple… »

« Euh… »

Des prénoms qui ricochent

27 septembre, 2014

Sophie fait de la philosophie

Tandis que Nathan l’attend

De même que Benoit qui est benoit

Narcisse qui porte un bouquet de narcisses

Et Yann qui descend de sa liane.

Mais voici qu’arrive Nancy qui vient de Nancy

Et Reine qui habite Rennes

En compagnie de Laure qui ne roule pas sur l’or.

Victoire ! crie Victoire en les rejoignant

Accompagnée de Sarah qui revient du Sahara.

Devant ce bazar, Théo crie en prenant son thé : oh !

Ah ! Ah !

26 septembre, 2014

Il pleut des hallebardes.

Dans son hameau

Jules se tient sous le réverbère, dans son halo.

Il attend Jeanne, au visage hâlé

Qui sort du hammam.

C’est une habituée

De cet endroit hallucinant.

Ensemble, ils fument du haschich

En se jetant des regards hallucinés

Et en croisant leurs mauvaises haleines.

La tête et le corps

25 septembre, 2014

« On pense souvent que c’est la tête qui commande au reste du corps. Eh bien, parfois ça ne marche pas comme ça. C’est plutôt l’inverse. »

« Ah bon ? Comment ça, Maître ? »

« Quand je suis avachi sur mon fauteuil, mon corps se sent tellement bien qu’il résiste aux injonctions de ma tête. En plus, comme ma tête pense à tout ce que je devrais faire et que mon corps n’a aucune envie de faire, je suis frustré. »

« Mais quand même, la tête décide souvent ! Par exemple, si elle décide de prendre une douche, le corps suit ! »

« Euh, il suit parce qu’il se souvient que c’est agréable de prendre une douche. Mais si la tête décide de sortir sur la pluie, le corps va faire un tas d’histoires jusqu’à tomber malade. »

« Mais… j’insiste sur le fait que le corps ne s’agite pas sans ordre de la tête. »

« Certes, mais il cherche à reprendre le dessus. Par exemple quand je cours, j’ai bientôt des sensations douloureuses, le souffle court, un point de côté et mon corps finit par se demander pourquoi il court. Trouvant l’ordre de la tête inhumain, il se révolte et s’arrête. »

« Vu comme ça, évidemment… Mais on peut aussi penser que le corps et la tête agissent en parfait accord. »

« Oui. Quand je vois un chou à la crème appétissant dans la vitrine de la pâtissière, tout le monde est d’accord pour entrer et se le jeter dans le gosier. Mais il arrive que la tête dise non. Un dur combat s’engage que le corps peut gagner. L’individu se culpabilise, mais le corps a vaincu la tête. »

«La tête peut gagner aussi …  »

« Oui, mais le corps continuera le combat à la prochaine occasion. Il est très têtu. Et il finira par l’emporter, parce que s’il est trop frustré, il se vengera autrement. En grossissant exagérément pas exemple pour se faire remarquer. »

« Si je comprends bien, Maître, il vaut mieux, de temps en temps, laisser la victoire au corps pour lui faire croire que c’est lui qui commande, même s’il ne gagne pas. »

« Oui, c’est ça. Le corps ne dispose pas de l’intelligence de la tête, il faut donc qu’il gagne autrement. Laissons-le l’emporter pour qu’il ne sente pas méprisé.  Le corps a de l’amour-propre et du quant-à-soi. »

« Il ne faudrait quand même pas qu’il abuse de notre bonté. »

« Vous avez raison, si c’est le corps qui gagne toujours, nous redescendons au niveau de l’animal, et peut-être même en dessous. Nous devenons bêtes à tous les sens du mot. Vous comprenez ? »

« Le mieux, n’est-ce pas quand le corps et la tête sont d’accord pour ne rien faire ? »

« Ça s’appelle dormir. Mais même là, il y a combat. La tête imagine que le corps fait des choses, c’est le rêve. Mais le corps peut faire d’autres choses sans autorisation de la tête, c’est du somnambulisme. »

Nos mauvais poèmes

24 septembre, 2014

Elsa ne se fait pas de bile

Elle n’est pas débile

Peut-être un peu volubile

Mais assez habile.

Elle vient de s’acheter un mobile

Et une automobile

Un peu comme le pape, une papamobile

Pour ne pas être immobile.

Oui ou non ?

22 septembre, 2014

Il s’appelle Louis

J’ai oui dire

Qu’il est non-conformiste

Et non-violent.

Ce n’est pas un béni-oui-oui

Ni un non-initié.

Son ouïe entend

Tous les non-dits

Et les non-sens.

Moi, mon image et les autres

21 septembre, 2014

« Pourquoi, mais pourquoi est-ce que j’attache autant d’importance à mon image en société ? Il y a quand même des choses beaucoup plus importantes sur Terre : la guerre au Moyen-Orient, la faim dans le monde, la pollution… Et moi qui la ramène à tout bout de champ comme si rien n’était… »

« Ne vous inquiétez pas : tout le monde en fait autant. Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. »

« Ou, mais enfin… Je ne peux pas pénétrer dans une pièce sans dire n’importe quoi pour attirer l’attention sur moi. Quand je suis tout seul, je sens bien que je suis malheureux : je ne peux tout de même pas faire le malin pour fixer ma propre attention. »

« Il faudrait consulter. Tous les gens qui se posent trop de questions finissent par aller chez un psy pour les aider. »

« Il faudrait surtout que j’arrête de me croire indispensable. Je pourrais faire don de ma personne à la France. Sans espoir de retour. Qu’est-ce que vous en pensez ? »

« Surtout pas ! Vous allez aggraver votre maladie. Vous allez vous prendre pour un héros, votre égotisme s’en trouvera amplifié. Votre image sera encore plus valorisée. Tout le pays va vous admirer. »

« Vous avez raison. C’est embêtant. »

« Il faudrait que vous arrêtiez de penser à votre image et de toujours faire le malin en société, mais sans que ça se sache. »

« Comment faire ?  Je pourrais écouter ce que les autres disent, boire leur parole, les féliciter pour la pertinence de leurs interventions ? »

« Oui, c’est ça. Et puis si vous pouviez ajouter que vous n’avez rien à dire qui soit aussi intéressant que ce qu’ils disent, et qu’en règle générale, vous n’êtes qu’un pauvre hère sans aucune culture indigne d’intérêt, ce serait bien. »

« Résumons-nous : si je veux arrêter de me valoriser excessivement  à la moindre occasion, le seul choix qui me reste c’est de me dévaloriser. »

« Ou alors de valoriser les autres, ce qui revient au même. »

« Je pourrais tout de même essayer de rester dans la moyenne : le type qui n’en fait pas trop, mais qui a quand même un petit peu de quant-à-soi. »

« C’est compliqué. Vous allez passer pour un instable. On ne saura jamais sur quel pied danser avec vous : à quel moment allez-vous faire une crise d’amour propre ? A quel moment pourra-t-on vous traiter comme quantité négligeable ? Mettez-vous à  la place des autres, ce n’est pas très sécurisant ! »

« Et si, je n’avais d’amour-propre que certains jours, le week-end par exemple ? »

« Vous allez vous compliquer la vie. C’est difficile d’avoir une très bonne image de soi en faisant le ménage dans ses toilettes ou en faisant la queue au supermarché. Au bureau, c’est plus facile de la ramener en se donnant l’impression d’être indispensable. »

« Bon d’accord ! Je préviens les autres : je vais être infect de suffisance le lundi et le mardi. Le reste du temps, je me foutrais de tout et d’abord de l’impression que je leur fais, et je m’occuperai de la guerre dans le monde. »

L’imbécile est-il heureux ?

20 septembre, 2014

« Pourquoi est-ce que je me pose tant de questions sur la vie ? C’est agaçant ! Il me suffirait pourtant de me laisser vivre tranquillement. »

« Ne vous inquiétez pas, on en est tous là. Pourquoi sommes-nous sur Terre ? Pour combien de temps ? Quel est le sens de tout ça ? »

« Ah bon ? Vous aussi ? Comment ça se fait ? »

« Il faut dire que l’Etre Humain est une drôle d’exception. Jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas d’autres exemples dans l’Univers. Pas d’autres entités assez intelligentes pour réfléchir sur la finalité de leur propre existence. »

« C’est vrai. Nous avons le don d’une intelligence puissante, mais en même temps angoissante. C’est diabolique. »

« Euh… je ne suis pas sûr que le diable y soit pour grand-chose, mais il doit se frotter les mains à nous voir nous débattre dans nos contradictions. »

« C’est sûr. Personne n’a donné d’objectif à nos existences. Pour s’en sortir, on est obligé de se fabriquer nous-mêmes des objectifs et de se démener pour y croire fermement. C’est un jeu de dupes parce qu’on perd à tous les coups. Quand je n’atteins pas mes objectifs, je suis déconsidéré et lorsque je les atteins, je suis frustré parce que je n’ai pas eu le temps de m’en préparer un autre. Je suis malheureux dans tous les cas. »

« Le mieux est de ne pas transformer vos objectifs en religion. Les atteindre ou pas, ce n’est pas aussi important que ça. »

« Mon chef de service n’est pas tellement de cet avis. »

« Le monde de l’entreprise, c’est le Monde tel que nous voudrions qu’il fonctionne avec des chefs de meute qui donneraient des ordres et nous, les loups de base, qui aurions le seul souci de les exécuter en nous laissant mener vers le destin que les chefs ont choisi pour nous. »

« Euh… c’est un peu subversif ce que vous dites. Je pourrais en déduire qu’il faut lever l’étendard de la révolte. »

« Et alors, ça ne vous convient pas la révolte ? »

« Pas trop, moi j’ai aussi envie de vivre tranquillement et pour vivre tranquillement, il faudrait que j’arrête de me poser des questions existentielles, surtout si elles débouchent sur l’étendard de la révolte. Vous n’auriez pas une théorie qui permettrait de vivre sans souci, sans réfléchir à son propre sort ? »

« Euh… c’est compliqué. Même la vache qui est apparemment un animal paisible, est stressée en allant à l’abattoir. »

« Euh… oui, mais là, c’est son instinct qui commande. Moi je voudrais vivre sans réflexion existentielle et si on pouvait aussi m’enlever mon instinct ou ma capacité d’anticipation, ce serait pas mal. »

« Alors là, je ne vois qu’une solution : celle de vous greffer une cervelle d’imbécile. Ne parle-t-on pas des imbéciles heureux ? »

« D’accord, c’est combien ? »

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