Les dégats de la désertification rurale
« Je reçois de moins en moins de courrier, bientôt le facteur va disparaitre. »
« C’est le sens du progrès. »
« Après la disparition du bistrotier, de l’instituteur, du curé, du cantonnier… Qu’est-ce qui va rester du village d’autrefois avec le progrès ? »
« Le dépanneur informatique… »
« Mais on ne peut plus parler avec lui, il dit des mots étranges : système, Windows, ouifi, etc… avant on pouvait colporter des ragots. Avec lui, on ne colporte plus. »
« Mettez-vous à twitter, on peut colporter… »
« Oui, mais on ne voit pas la tête des gens quand on colporte. Ce qui est intéressant, c’est de voir votre interlocuteur pendu à vos lèvres quand vous dites du mal des autres. »
« Bon, je vois, Monsieur est opposé aux nouvelles technologies…. »
« Non, pas forcément. Je suis pour l’invention d’un humanoïde auquel je pourrais dire n’importe quoi et qui me renverrait des émotions stupides comme dans le temps, quand je discutais trois heures avec la boulangère pour dire du mal de la mère Dupin qui en faisant autant de son côté avec la mère Durand, la postière. Ça, c’était de la vraie vie ! »
« C’est-à-dire que pour inventer des humanoïdes aussi bêtes que vos copines, il va falloir faire fort. Je ne sais même pas si les japonais en seront capables. Raconter n’importe quoi à n’importe qui, n’importe quand, juste pour se sentir exister un moment dans les yeux d’autrui, c’est quelque chose de profondément humain… »
« Bon, alors…. Engageons des chômeurs. Ils iraient de maison en maison pour discuter sans raison. Ils écouteraient les états d’âme des uns et des autre et véhiculeraient les rancœurs, les rumeurs infondées, les mensonges…. Ça mettrait un peu d’ambiance. Ce serait les troubadours des temps modernes. Je pourrais dire tout le mal que je pense de la mère Dupin sans risque… »
« Euh… je crois que la mère Dupin est décédée l’an dernier… Elle n’a pas de descendance.. »
« Ah, mince ! Qu’est-ce je vais pouvoir raconter maintenant. Il faudrait que les chômeurs-troubadours aient aussi pour mission de nous aider à commérer. Ils auraient une réserve de rumeurs et de ragots pour que je puisse déverser ma bile sur quelqu’un…. »
« Mais sur Twitter… »
« Vous rigolez… Il y a plein de gens qui surveillent : la cyber-police, les journalistes, les politiques… on ne peut plus être méchant tranquillement sans que ça ne fasse tout une histoire. Autrefois, on entretenait des rivalités de clan dans le village et personne ne venait nous dire que c’était très mal. Mais comme tout le monde part… je ne peux même plus m’énerver autrement que de manière courtoise après moi-même ou le chat, à la rigueur. »
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