Laisser un souvenir
6 mai, 2014« Je voudrais bien laisser quelque chose de mon passage sur Terre. »
« Euh… c’est un peu prétentieux… A quoi pensez-vous ? »
« Un livre par exemple. L’ennui, c’est que je ne sais pas bien écrire et puis ce que dis n’intéresse pas grand monde. »
«Vous laisserez un excellent souvenir à ceux qui vous entourent, c’est déjà pas si mal que ça. »
« Oui, mais ça disparaitra avec eux. Ça ne m’arrange pas tellement. Je pourrais donner mon corps à la science. »
« Ce serait bien, en effet. »
« Bon je vais le faire, mais ça ne me suffit pas. Il faudrait que je donne mon nom à une rue, une école, un rond-point. Ça ne vous dirait pas d’habiter rue Dumolard ? »
« Euh… je préfère loger boulevard du Général de Gaulle, si ça ne vous fait rien. Pourquoi ne pas laisser à votre postérité les poèmes que vous écriviez à votre femme quand vous étiez adolescent ? »
« C’est qu’ils ne sont pas terribles. Et puis nos relations se sont un peu détériorées par la suite. Je vais déjà mettre de côté une video de moi, celle de Noël dernier. Je fais le rigolo en ouvrant des huitres, c’est absolument hilarant. »
« Vous n’avez rien de mieux ? Une œuvre qui serait immortelle, qui traverserait les âges, dont on parlerait encore dans un siècle. »
« C’est-à-dire que n’est pas Victor Hugo qui veut…. Mon écharpe de supporter de mon club de foot préféré, ça pourrait faire l’affaire ? Elle a beaucoup vu, beaucoup voyagé, beaucoup souffert. Une vraie relique. »
« Euh… tout le monde s’en fiche et puis dans cent ans, je ne sais pas si on jouera encore au foot. Vous ne chantez pas ? Si vous étiez une vedette de la chanson, ça arrangerait tout le monde. »
« Je chante faux. En y réfléchissant bien, je crois que je laisserai quand même une trace de mon passage par l’influence intellectuelle que j’exerce autour de moi. Au bureau, les gens m’écoutent quand je parle, c’est un signe qui ne trompe pas. »
« Oui…mais enfin, vous croyez qu’ils retiennent ce que vous dites ? Parfois, on tend une oreille pour passer le temps, mais on s’en fiche un peu… »
« Vous pensez que les gens se fichent de ce que je raconte… Finalement, ce sera une façon de laisser quelque chose derrière moi. Le trou de Celui Qui Parlait pour ne Rien Dire. Ce n’est pas rien tout de même. »
« Il faudrait arriver à matérialiser un trou et ce serait parfait. Il parait qu’on peut acheter une statuette à son effigie, maintenant. Vous pourriez d’ores et déjà distribuer votre présence future que chacun pourrait entreposer sur son bureau. »
« Euh… à trente-cinq ans, en pleine bourre, c’est peut-être un peu prématuré ! »