Aux armes !
30 mars, 2014« Je n’aime pas embêter les autres. »
« C’est bien de votre part. »
« C’est vrai chaque fois que je m’adresse à quelqu’un, je sens qu’il se met sur la défensive, comme si j’allais l’agresser à coup sûr. Dans la rue, c’est terrible, je n’ose même plus demander mon chemin de peur que le passant interrogé n’appelle à l’aide. »
« Heureusement, on a inventé le GPS. »
« Au bureau, c’est pareil, chaque fois que j’interpelle un collègue, je sens la défense anti-aérienne qui se dresse dans son regard. Le pire, c’est que certains se défendent avant d’avoir été attaqué. Quand j’entre dans le bureau de Dugenou, il me dit que, de toute façon, il n’a pas le temps avant même que j’ouvre la bouche. »
« Vous exagérez ! »
« Non pas du tout. Les armements de défense sont très au point. Pour Dugenou, le principal bouclier, c’est le temps qu’il n’a pas. C’est l’arme la plus couramment utilisée. Notez que ce n’est pas seulement une arme défensive, mais c’est aussi une puissante artillerie offensive puisque je suis implicitement accusé de faire perdre du temps à tout le monde et, pire encore, de ne pas être débordé de travail. »
« Vous en avez d’autres comme ça ? »
« Oui, pour se défendre, beaucoup utilisent l’esquive avec plus ou moins de souplesse. Par exemple, quand je pose une question à la standardiste, la réponse systématique c’est : j’en sais rien je n’étais pas là ! »
« Même si vous lui demandez s’il pleut ? »
« Non là, ça change un peu. C’est : j’ai eu tellement de travail depuis ce matin que je n’ai pas eu le temps de lever la tête pour regarder par la fenêtre. »
« Il n’y a personne pour répondre à vos questions sans se sentir coupable ? »
« Si peut-être Mollard. Enfin…pas tout à fait. Il utilise une autre tactique : les armes déviantes. Si vous lui posez une question embarrassante, il la déporte sur une autre. Exemple : si vous l’interrogez sur le fait qu’un dossier n’est pas bouclé, c’est systématiquement la faute de Poulichet qui ne lui a pas transmis la pièce à temps. Le pire c’est que Poulichet connait aussi la stratégie de déviation et que son retard est dû –selon lui – aux atermoiements du service administratif, en la personne de Grolar, qui –lui – n’a pas le temps de vous répondre. »
« Le mieux, ce serait de n’agresser personne en posant des questions anodines. »
« Euh… même pas sûr ! Si je demande à Dugenou s’il vient à la cantine, il me regarde d’un œil mauvais et me répond : tu vois bien que je suis débordé ! »