L’histoire du souffre-douleur
13 mars, 2014« Il faut toujours un souffre-douleur dans une collectivité humaine. »
« C’est un vestige de l’époque préhistorique. Il y avait les forts qui résistaient et les faibles qui disparaissaient. C’est la loi de la sélection naturelle. »
« L’homme est assez pervers. Il ne vit pas s’il ne se compare pas aux autres. Il est rassuré quand il se compare à plus faible et il est encore plus tranquille si les autres sont d’accord sur le nom du plus faible de la bande. »
« On pourrait imaginer que la douleur soit répartie sur tous les membres de la bande. »
« Non, ça n’irait pas. Chacun prendrait des coups à un moment ou à un autre. Ça ne rassure pas du tout. Il vaut mieux concentrer les douleurs sur une seule tête. Au moins on sait d’avance où ça va tomber. »
« C’est très cruel. »
« Oui, mais c’est comme ça depuis la nuit des temps. Le souffre-douleur est une nécessité vitale pour le groupe. Il ne le sait pas, mais il rend service à tout le monde. »
« On pourrait peut-être le lui dire. »
« Non, le danger serait qu’il se prenne pour un héros, prêt à se sacrifier pour la survie de la collectivité. S’il arrive à être admiré par le reste de la bande, il ne pourra plus tenir le rôle de souffre-douleur. Donc, il est nécessaire qu’il continue à souffrir amèrement. »
« Mais enfin, il va finir par se révolter ! »
« C’est peu probable. Certains prennent goût à la douleur. Ce genre de comportement masochiste est assez courant. D’autres sont fatalistes, ils savent qu’ils sont trop faibles pour réagir. Dans le pire des cas, le souffre-douleur qui se révolte prend une bonne raclée et il souffre encore plus. »
« Mais on pourrait imaginer qu’un être intelligent du groupe prenne sa défense et arrête ce massacre. »
« Alors là, ça peut arriver. On ne peut empêcher personne de ne pas avoir un comportement bestial. C’est rare, mais ça arrive. Etre généreux, c’est encore plus rare. Ceci dit quand ça arrive, le souffre-douleur doit son salut à la mansuétude d’un autre, ça lui crée des obligations, il devient son obligé. On retourne au Moyen-Age lorsque le seigneur assurait la protection de ses vassaux, mais il en attendait d’autres services. »
« Le souffre-douleur est donc coincé dans toutes les situations. »
« Oui. On peut toujours imaginer qu’il présente un recours devant une autorité supérieure, mais ce n’est pas très glorieux d’avouer publiquement qu’on est souffre-douleur. En plus, reconnaître qu’on a laissé s’installer ce genre de relations dans un groupe est très embarrassant pour le responsable du groupe. »