« Vous n’êtes pas assez souple. »
« Comment ça, pas assez souple ? »
« Dès qu’on vous change un élément de votre petite vie bien tranquille, vous râlez. Par exemple, si on remplace couscous par choucroute à la cantine, c’est une levée de boucliers. Si on change le sens de circulation d’une rue pour fluidifier la circulation, vous allez encore trouver le moyen d’en faire un scandale. Comment voulez-vous gouverner dans ces conditions ? »
« Si de nouvelles dispositions me gênent, j’ai le droit de le dire, non ? »
« Peut-être, mais il faudrait que vous considériez aussi l’intérêt général. Le nouveau plan de circulation ne vous convient peut-être pas, mais il est fait pour la majorité de la population. Il peut satisfaire votre voisin, par exemple. »
« Comme je le connais, il râlera sur autre chose. Par exemple, sur l’horaire des transports collectifs. En fait, je crois que c’est le fait de changer qui dérange. Lorsque tout est stable, on s’adapte. Quand ça change, il faut rechercher un autre équilibre, ça entraine des coûts et de l’énergie et peut-être qu’au final, on ne parviendra pas à s’adapter de nouveau. Je me demande d’ailleurs si la meilleure des politiques ce n’est pas de rien faire. Battons-nous pour l’immobilisme ! »
« Euh.. Non, il faut changer parce que le monde change. »
« Si j’estime que le monde change en mal, je ne vois pas pourquoi je devrais suivre le mouvement. Par exemple, je peux décider de ne pas avoir de téléphone portable pour faire des économies et avoir la paix. »
« Alors là ! Si tout le monde fait pareil, on va mettre tous les opérateurs sur le tapis. Vous vous rendez compte des conséquences sur l’emploi ? »
« Eh bien, on créera des emplois plus utiles ! »
« Et puis, vous vous privez d’un lien avec les vôtres. Le téléphone portable est un instrument de lien social à une époque où on en manque. »
« On n’était pas obligé de lui adjoindre des jeux idiots pour pouvoir le vendre encore plus cher. Le changement n’est pas une fin en soi. Lorsque je change de chemise, je prends toujours le risque d’en acheter une moins confortable ou moins belle. »
« Nous y voilà. Votre problème c’est donc la prise de risque. »
« Moi, je n’ai pas spécialement envie de prendre des risques. C’est un luxe que je ne peux pas m’offrir. Si certains veulent grimper l’Annapurna à mains nues, ça les regarde. Oui au risque individuel, mais non au risque collectif. Si vous changez mon trajet quotidien, vous me dérangez mentalement, mais vous pouvez aussi me faire courir le risque d’un accident puisque le trajet me sera inconnu. »
« Bon d’accord, alors on s’excuse d’avoir inventé l’électricité, la vaccination contre la rage, ou l’imprimerie… »