La cruauté
1 décembre, 2013« Parlons de la cruauté dans notre société. Elle est beaucoup plus fréquente qu’on ne le voudrait. C’est même parfois un sport national. »
« Et la télé se distingue comme toujours. Dans les séquences de télé-réalité, les adeptes attendent avec avidité de voir la tête du candidat qui sera éliminé. Ou alors dans les jeux de connaissance, le visage déconfit du pauvre joueur qui vient de perdre 100 000 euros d’un seul coup est un grand moment de plaisir pour les amateurs. D’ailleurs, si les visages ne sont pas suffisamment déconfits, on dira que l’émission est mauvaise ou que l’animateur ne sait pas appuyer là où ça fait mal. »
« Un autre exemple célèbre de cruauté, c’est l’instant où une belle rejette un soupirant. Certes, elle dira qu’elle est désolée, mais en mettant les choses au mieux elle n’est que soulagée. Et les plus perverses goûteront ce moment où leur grâce féminine fait une victime. Si celle-ci se jette à leurs pieds, c’est encore mieux. »
« J’ai encore un exemple. C’est lorsqu’un dépositaire d’une Autorité légitime exerce son mandat. Lorsqu’un policier vous arrête pour excès de vitesse, beaucoup jouissent intérieurement – j’en suis sûr – de vous imposer le PV, que vous méritez peut-être. Le moment ressemble à celui où le fauve vient de prendre sa proie sous se griffes : le fauve comme la proie savent que la suite de la situation est inéluctablement fatale pour la prisonnière. »
« Oui, c’est un cas fréquent. Au lycée, quand vous êtes pris en train de fumer un joint par le pion, vous pouvez lire dans le regard ignoble de ce dernier le contentement sauvage du fauve qui vient de capturer son déjeuner. »
« Euh… le lycée, c’est un peu loin, je ne me souviens plus. Par contre, j’ai vu ce genre de regard chez mes directeurs lorsqu’ils imposent une tâche dont personne ne veut ou alors des délais d’exécution exorbitants. On a l’impression qu’ils bavent de satisfaction tant l’exercice de leur pouvoir et jouissif pour eux. »
« De manière générale, pour détecter des cruels, il suffit d’écouter les conversations. Il y a toujours un moment où un interlocuteur prend l’ascendant sur l’autre et en tire une satisfaction plus ou moins perverse. »
« Vous avez raison. Par exemple quand j’ai discuté de mes vacances avec les autres, ça a été très dur. C’était à celui qui était allé dans le pays le plus lointain ou le plus exotique. Moi, avec ma petite location au Lavandou, j’ai été humilié. Quand j’ai dit que j’ai gagné le concours de pétanque du 15 août, Dumortier m’a porté un coup fatal en sortant les photos qui montrait son voyage à dos d’éléphant en Inde. »
« C’est la même chose dans les discussions politiques. Si vous parlez du problème de la dette, c’est inutile de bosser sur des arguments très techniques. Personne ne les écoutera et en plus, vous vous mettez en position de faiblesse. Il faut garder dans sa manche des arguments qui tuent sans pitié. C’est en général les arguments les plus démagogiques. Pour la dette, il suffit de dire : de toute façon, au bout du compte, c’est toujours nous qui payons. Normalement, vous voyez votre adversaire rentrer sous terre à ce moment-là. »