De quoi puis-je parler ?

« Je fais du sport, ça consiste essentiellement à souffrir pour ne pas souffrir. »

« C’est bien, mais si vous ne faites pas de sport, vous souffrez quand même : cholestérol, diabète, obésité, etc… Et toutes sortes de cochonneries. »

« C’est donc obligatoire de souffrir ».

« C’est mieux. Vous avez mal en ce moment ? »

« Oui, j’ai une espèce de tension dans l’épaule qui gêne mes mouvements, je pense que je vais aller consulter »

« C’est intéressant comme mal, ça va vous permettre d’entretenir vos conversations pendant un certain temps, surtout si c’est chronique. »

« Oui, mais si le médecin me soigne correctement, qu’est-ce que je deviens ? »

« Ne vous inquiétez pas l’hiver arrive, vous allez, au minimum, attraper un bon rhume. Au bureau, vous tenez facilement la vedette à la cafétéria avec ça ! »

« Euh… c’est vrai qu’il faut souffrir un peu pour se sentir exister, sinon je suis inquiet. Je me demande toujours ce qui va m’arriver. »

« Ceci étant, il ne faut pas trop plaisanter avec ça, il y a plein de gens qui souffre vraiment et qui voudraient bien ne plus souffrir. »

« Vous avez raison, soyons modeste. Je ne veux qu’un petit bobo qui se soigne, tout en m’exaspérant un peu. »

« Des verrues, ça vous intéresse ? »

« Non, c’est vilain, j’ai l’intention d’être beau. »

« De l’arthrose, j’en ai. C’est parfois douloureux. »

« Euh… non plus. Quand je vois les autres souffrir, je me contenterai bien d’une souffrance indolore. »

« C’est compliqué à obtenir. Tout le monde ne peut pas être le malade imaginaire. »

« Bon, alors je pourrais parler de mes non-souffrances. »

« Parler de votre bonheur pendant la pause-café, ça va faire un peu bizarre. En fait, votre félicité n’intéressera personne. Au pire, vous allez passer pour un être peu zinzin. Essayez d’avoir une belle-mère ou un beau-frère atteint de quelque chose. Pas trop grave quand même, il ne faut pas leur porter la poisse. »

« Et puis après ? Personne ne connait ma famille. »

« Racontez leurs mésaventures à l’hôpital. L’attente aux urgences : trois ou quatre heures, cinq si possible. Les erreurs de diagnostic. Le personnel surmené…. En général, ça fait un peu peur… »

« Bon finalement, je ne sais pas si je vais m’étendre sur la santé, ça m’effraie moi-même. Il faudrait que je trouve un autre sujet. »

« Parlez de la violence, ça fait peur aussi. »

« Euh… les histoires de gangsters, je n’ose même pas les regarder à la télé. La  violence au lycée… je ne sais pas… mon gamin ne me dit rien. »

« Il va bien votre gamin ? »

« Euh… peut-être, je n’en sais rien. Mais on ne va pas retomber sur des problèmes de santé. On tourne en rond. Mon problème n’est pas résolu : de quoi je parle en société ? »

«Il reste le foot. Si vous parlez culture, vous allez larguer tout le monde… »

« J’y connais rien en foot. En culture, je suis moyen… »

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