L’invention du temps
« Au début, les hommes, en se levant, ne savaient jamais s’ils survivraient assez longtemps, dans ce monde de bêtes sauvages, pour se recoucher. Ils n’avaient donc pas besoin d’agenda. Ils ne pouvaient pas se dire : on verra ça demain ! Puisqu’il n’y avait ni aujourd’hui, ni demain. »
« Ça ne devait pas faciliter les réunions. Comment en est-on arrivé à faire émerger le concept de journée, Maître ? »
« Il y a eu débat. Un grand nombre étaient partisans de dormir lorsque le soleil se cachait et de vaquer aux occupations habituelles lorsque la lumière éclairait la Terre. C’était nettement plus pratique. Mais une forte minorité a fait remarquer à juste titre qu’il était plus logique de dormir quand on avait sommeil. Ces derniers inventèrent la sieste. »
« Bon, on a inventé la journée. Mais après pour l’année ? »
« Ce fut plus compliqué. Il a fallu qu’on éprouve le besoin d’un rythme, un début, une fin, un début, une fin, etc… Les hommes vivaient au jour le jour et avaient bien d’autres soucis que de s’inquiéter de leur âge ou de ce qu’ils feraient l’année suivante. »
« Heureusement, le rythme des saisons vint à leur secours pour leur montrer que la nature était soumise à un renouvellement permanent : un début, pendant lequel on pouvait semer, un milieu, pendant lequel on pouvait récolter, et une fin, pendant laquelle il ne fallait compter sur rien et pendant laquelle on avait le temps de réfléchir à l’intérêt de faire des provisions pendant les périodes de récolte. »
« Si je comprends bien, le rythme des saisons est directement responsable de la spéculation. Autrement dit, j’épargne à un moment donné pour en tirer du profit plus tard. »
« C’est un peu simpliste, mais il y a du vrai. Nous n’avons pas encore parlé de la semaine. Comment fut inventée la semaine ? »
« Je me le demande, Maitre ? »
« Ce fut encore plus difficile que difficile, puisqu’il n’y avait personne pour dire à l’Homme qu’on était dimanche et qu’il fallait aller à la messe le matin et au stade le dimanche après-midi. Mais peu à peu, l’Homme se rendit compte que son corps devait se reposer de temps à autre. Une journée tous les sept jours parut un rythme satisfaisant. »
« Et pour ceux qui ne se fatiguaient pas ? »
« Il y avait en effet le cas des intellectuels. Je veux dire ceux qui avaient des besoins intellectuels quand ils ne bossaient pas. Pour eux, l’instauration d’un jour de repos fut insuffisante. On ne peut se contenter de réfléchir un jour sur sept. Aussi fallut-il inventer le week-end, puis les congés, la RTT, les ponts du mois de mai, et le lundi de pentecôte… »
« Le problème c’est que tout a été dévoyé. On n’utilise plus les jours fériés pour réfléchir ou se cultiver. La preuve, c’est que le lundi de pentecôte, il faut aller déjeuner chez belle-maman ou chez la grand-mère à la campagne avec femme et enfant. »
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