Nos belles corvées
23 juillet, 2013« Vous vous rendez compte de toutes les corvées qui vous attendent aujourd’hui ? »
« Bin… oui ! »
« Il va falloir vous serrer dans le métro contre des gens qui sentent mauvais et que vous ne connaissez pas suffisamment pour le leur dire. Et puis après, il faudra être sympa avec votre chef de service. Peut-être même déjeuner avec lui. Votre femme vous téléphonera sûrement pour vous dire qu’il ne faudra pas oublier de passer au pressing. Et ce soir, vous devrez vous colleter avec votre gamin pour qu’il fasse ses devoirs au lieu de jouer à la console électronique. »
« Vous avez oublié la révision de ma bagnole. Pour ce qui est de déjeuner avec Bougnin, ce n’est pas mon tour. J’espère que Martinaud n’esquivera pas la corvée, comme la dernière fois. Mais vous avez raison, ça fait beaucoup. On pourrait, à la limite se faire une raison, mais le pire c’est de penser qu’il y en aura autant demain et les jours suivants. Le week-end, c’est catastrophique. Il faut aller diner chez belle-maman. »
« Et vous trouvez ça normal ? Les corvées, c’étaient l’affaire des serfs au Moyen-âge, mais aujourd’hui le servage est aboli. Pourquoi faut-il qu’on se gâche l’existence avec autant de constance ? »
« Il parait que c’est la vie en collectivité qui impose ces contraintes. Si je ne veux pas indisposer mon prochain, il faut que je lui fasse plaisir. On se demande qui me fait plaisir à moi. Il faut dire que je ne sens pas mauvais et que je ne souffre pas le martyr si je peux déjeuner tout seul à la cantine, tranquillement dans mon coin. »
« Finalement, plus on est normal, plus on est corvéable. »
« Oui, il faudrait mieux être désagréable ; comme ça, nous fréquenter serait une corvée pour les autres. Les mauvais moments seraient mieux partagés. »
« Bon d’accord, on va commencer par ne plus se parler. Je trouve nos conversations intéressantes. Quand je parle avec vous, je me sens mieux, comme libéré de ma charge mentale. Arrêtez d’être sympathique ! Soyez une vraie corvée ! »
« Ce n’est pas simple. Je vais essayer …. Comment osez-vous me parler ? Espèce de manant ? On ne peut pas s’adresser à moi comme ça ! Veuillez prendre rendez-vous avec ma secrétaire ! Dès son retour de congés, évidemment ! »
« C’est pas mal ! Très odieux. Je n’ai plus envie de vous adresser la parole. Encore une corvée en perspective ! »
« Comment ça : une corvée ? Maintenant, travailler est une corvée pour vous ? Programmer une réunion avec un collègue est une corvée ? Bravo, Dupont ! Bravo ! Si tout le monde fait comme vous, on va allez loin ! »
« On rigole Dutruc, on rigole… »
« Bin… non ! »