Archive pour le 28 avril, 2013

Un bosseur

28 avril, 2013

« Je n’en fiche pas une rame. »

« Il est vrai que vous êtes très paresseux. Ce n’est pas trop dur ? »

« Si, beaucoup plus qu’on ne le croit. Lorsqu’on  ne fait rien, on est tout le temps confronté à soi-même. A la petitesse de sa condition humaine. A la finitude de l’homme. Vous comprenez ? C’est plus facile d’échapper à ce douloureux dialogue lorsqu’on est abruti de travail. »

« Je compatis. »

« En plus, en regardant les autres s’agiter, je me sens envahi d’un insidieux  sentiment de culpabilité que certains, mal intentionnés, se font un plaisir de conforter en me faisant remarquer mon inaptitude à l’effort. »

« Ce n’est pas très sympathique, en effet. »

« Oui, je suis obligé de me défendre en prenant une attitude complètement indifférente à leurs efforts quotidiens pour faire quelque chose. Ça me coûte beaucoup. »

« Ne vous arrive-t-il pas d’avoir envie de lever le petit doigt ?»

« Jamais. D’ailleurs, il y a là un sujet de préoccupation de plus. Pourquoi ne suis-je pas animé de l’intention d’accomplir un geste constructif ? C’est un vrai calvaire. Je n’ai jamais ressenti cette exaltation du travail fait et bien fait. »

« J’en suis navré pour vous parce que c’est très intéressant comme impression. On ressent comme une onde de fierté qui vous donne envie de recommencer. »

« C’est difficile pour moi. Surtout en hiver. Je ne peux même pas me donner comme excuse de bronzer au soleil. En été, mon attitude parfaitement immobile peut au moins se justifier par une exposition prolongée aux rayons solaires. »

« Je comprends. Mais ne craignez-vous pas pour votre santé ? »

« Si, un peu. Parce que pour faire du sport, il ne faut pas trop compter sur ma personne. C’est encore pire que de travailler. On se fatigue sans but précis. Sans autre objectif que celui de se fatiguer. C’est un comble pour un type comme moi ! »

«Finalement, vous êtes courageux ! »

« Oui, quand je vois tout ce que je pourrais faire autour de mon fauteuil, je me demande comment je fais pour résister. Vous vous rendez compte, je sacrifie tout. Même ma culture puisque je n’ai pas envie d’aller au cinéma ou de lire. »

« Même pas un petit peu ? »

« Bof ! A la rigueur un livre avec des dessins. Mais il faut que quelqu’un aille me l’acheter. Le seul fait de me lever de ma chaise longue me traumatise. D’ailleurs pourriez-vous aller me chercher un verre d’eau, au lieu de me faire parler ? »