Réhabilitons le on
24 janvier, 2013« Nous n’avons pas gardé les vaches ensemble ! »
« C’est dommage, cela aurait pu être sympa ! »
« C’était une expression pour dire que vous n’avez pas à être familier avec moi. Ne nous tapons pas sur le ventre. Je n’aime pas que vous me tutoyiez, par exemple. »
« Ah bon, qu’est-ce que ça vous fait ? »
« Ça introduit beaucoup trop de proximité. En fait, quand on se dit « tu », on ne sait plus si on est vraiment copains ou non. »
« On peut ne pas être copains, tout en se tutoyant, c’est plus sympa. »
« Bin non, si je vous dis que je ne vous aime pas, c’est naturel puisque vous êtes un « vous ». Si je vous dis que je ne t’aime pas, ça ressemble à un divorce, c’est beaucoup plus grave. Il y aura beaucoup plus d’amertume dans nos rapports. D’un autre coté, je reconnais que le « vous » est un peu cérémonieux. Je n’ai pas à m’adresser à vous comme au Pape.»
« En fait, si je comprends bien, il faudrait inventer un autre pronom personnel qui aurait pour fonction de permettre la vie et le travail communs sans tomber dans une familiarité excessive ni une déférence hors de propos. »
« Voilà une bonne idée. Parce que moi, je ne suis pas à tu et à toi avec tout le monde. Ni à vous et à vôtre. J’en ai marre de faire semblant d’être ami avec des êtres qui m’insupportent tout en étant obligé de les côtoyer tous les jours. Et puis, j’en ai assez de m’incliner devant les chefs avec un vouvoiement servile. »
« Bon, on pourrait dire « you » comme les anglais ; ça pourrait donner : comment va-you aujourd’hui ? Ou encore : you viens prendre un café avec nous ? »
« C’est pas mal comme idée. Un peu farfelu mais pas mal. Mais il faudrait revoir toutes les conjugaisons. J’en ai une autre. Réhabilitions le « on ». Il a mauvaise réputation. Certains disent qu’utiliser le « on », c’est ne pas avoir le courage de désigner des personnes. Moi, je dis que c’est le moyen d’atténuer les tensions en dépersonnalisant le dialogue. Par exemple, si vous me dites : comment va-t-on aujourd’hui ? Je comprends que vous manifestez le minimum de politesse socialement obligatoire, mais qu’en même temps, vous vous fichez complètement de ma santé. Autrement dit, les apparences sont sauves, mais personne n’est dupe ! Vous comprenez ? »
« Oui, c’est intéressant. Un peu pervers mais intéressant. C’est vrai que ça évite les ambigüités. J’hésitais justement à vous inviter à diner chez moi. Je ne pourrais plus ! En effet, comment dire : voulez-on venir diner demain soir à la maison ? C’est grammaticalement épouvantable. Par contre : on va déjeuner à la cantine ? Cela passe beaucoup mieux. »
« Oui, et puis on peut s’engueuler tranquillement. »
« Par exemple, je peux vous dire d’un ton rogue : on m’a encore piqué un dossier. Ça vous laisse encore la possibilité de le retrouver par hasard dans votre bureau. Si je déclare : vous m’avez pris mon dossier, c’est un acte d’indiscipline. Si je vous dis : tu m’as piqué un dossier, c’est encore pire. Tu vas faire des tas d’histoires pour me le rendre. Le « on » a une fonction diplomatique efficace. »
« Je suis content qu’on soit d’accord. »