Vélléités
31 janvier, 2013« Il ne faut pas vendre la peau de l’ours… »
« Je sais, je sais. Moi, je ne parle jamais de ce que je vais faire avant de l’avoir fait. Comme ça, je ne passe pas pour un plaisant si j’échoue ou si j’ai la flemme d’entreprendre le moindre de mes projets. Je ne veux pas ressembler à un velléitaire. Et puis comme je ne vais jamais faire grand-chose, je ne parle pas beaucoup. »
« C’est prudent, en effet. Nous sommes dans un monde aléatoire. On est sûr de rien, même pas de soi-même. Par exemple, j’aimerais bien faire le tour de France à vélo. Sillonner les routes de notre beau pays serait une expérience de liberté extraordinaire. Mais quand je pense à toute la logistique qu’il faudrait mettre en œuvre, ça me décourage d’avance. Il faudrait que quelqu’un me prépare tout. Donc je préfère ne pas en parler pour ne pas avoir l’air d’un rigolo. »
« Oui, et puis il faudrait commencer par vous acheter un vélo. Moi, je suis fasciné par la grande échelle des pompiers, mais c’est pareil je n’en parle pas. Je ne me vois pas aller chez les pompiers pour leur demander la permission de faire un tour dans les airs avec eux. »
« Finalement, on a tous des envies cachées. Celles qu’on n’aura jamais l’audace de satisfaire. Il faut mieux ne pas en faire état. Ne pas imiter Dumartin qui doit partir chaque été sur les routes d’Ouzbékistan, sac au dos. Il est obligé d’inventer chaque fois quelque chose de nouveau pour expliquer qu’il ne l’a pas fait. Cette année, c’est son gamin qui a eu la rougeole au dernier moment. »
« Il l’avait déjà eue, il y a deux ans.»
« Non, c’était la varicelle… Heureusement qu’il a un enfant fragile… il a passé ses vacances à Palavas-les-Flots, comme tous les mois d’août. »
« On est bien peu de choses. Je n’ose même plus vous rappeler que vous me dites régulièrement que vous allez m’inviter à diner. »
« J’aurais mieux fait de ne rien dire. Je ne suis plus sûr du tout que je vais passer à l’action, ça demande de la préparation, faire mon ménage, faire la cuisine… ça me fatigue rien que d’y penser. Et puis comme vous ne parlez pas des projets que vous ne poursuivrez jamais, la conversation risque d’être languissante. Je crois qu’il faut rester chacun chez soi, c’est préférable. »
« Vous avez raison. D’ailleurs, je ne vous aiderai pas à déménager. Un dimanche en plus ? Alors que j’ai tant besoin de me reposer. Quelle mouche vous a piqué ? Vous pourriez vous payer un déménageur. Vous avez pensé à la crise de l’emploi ? »
« Je suis d’accord. Finalement, je ne vais pas déménager. Quand je réfléchis au bazar que ça entraine… Faire les paquets, les défaire. Casser des bibelots, perdre des affaires… On est tellement plus tranquille dans l’immobilité absolue. Je vous remercie de ne pas m’aider. »
« Je vous en prie. Il y a des moments où il faut savoir mettre ses actes en adéquation avec ses paroles pour ne pas être pris pour un m’as-tu-vu… »