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11 novembre, 2012« Je suis la lanterne rouge du Tour de France ».
« Mais vous avez autant de mérite que le premier. Il faut arriver au bout du Tour ! Ce n’est pas donné à tout le monde ! Même moi, je n’y suis pas parvenu. Enfin… il faut dire que je n’ai jamais essayé. Toutes mes félicitations ! »
« Il n’y a pas de quoi. C’est très mal d’être le dernier. Je dirais même que c’est un handicap grave. Comment a-t-il fait ? Il s’est promené, ce n’est pas possible autrement ! Il a pris son temps pour monter le Galibier au lieu de souffrir comme tout le monde ! Et patati, et patata…».
« Ceux qui disent ça montent le Galibier en voiture, ce ne sont que de vulgaires touristes inconscients. Il ne faut pas leur accorder de l’importance. Moi je vous comprends : rien que pour grimper ma rue, j’en bave ».
« Il n’y a que l’avant-dernier qui me regarde avec soulagement. Il ne pensait pas trouver un plus mauvais que lui. Sur ce terrain-là, je l’ai nettement battu ».
« Oui, vous avez bien fait, il n’est pas très sympathique. Et puis, il vaut mieux être dernier qu’avant-dernier, vous attirez au moins l’attention ».
« Bin … non, on me remarque plus que lui. Les gens se moquent plus de moi que de lui . Comment ? Même pas capable de prendre un peu d’EPO ! C’est impossible ! Il a l’air malin de fonctionner à l’eau minérale ! »
« Ne vous inquiétez pas : on va éliminer ceux qui se sont drogués et vous allez remonter au classement. C’est classique ».
«Ne me consolez pas parce que tout ça m’est complètement égal. J’ai l’habitude. J’étais déjà dernier à l’école. On disait de moi que j’étais un enfant en difficulté. Je suis aujourd’hui un coureur en difficulté. Le statut « en difficulté », je connais ! Je suis d’ailleurs un époux difficile, un parent difficile, un consommateur difficile… Mais finalement, je m’en fiche, ça me rend intéressant ».
« Vous trouvez ? ».
« Oui, après s’être fichu de ma figure, il y a un moment où tout le monde se demande comment je me débrouille pour être encore vivant en cumulant autant d’inconvénients. En fait, il y un phénomène de seuil. Au-delà d’un certain nombre de difficultés, vous vous en fichez complètement. Vous vous sentez libérer des contraintes sociales ».
« Celles qui voudraient que vous vous efforciez d’être dans les premiers du peloton ? ».
« Oui, exactement. Une fois que vous avez admis que ce n’est pas possible pour vous, vous vous sentez beaucoup mieux. Les autres me regardent comme une bête curieuse, mais ils m’envient. Ils voudraient tous savoir ce que ça fait de ne pas être dans la course au titre et de ne même pas avoir cette prétention. De s’abstraire de la compétition alors qu’ils se démènent comme des beaux diables pour échouer lamentablement au milieu du tableau. C’est comme ça que ça se passe : dans le Tour, au bureau, en famille… Ce n’est pas donner à tout le monde d’être un looser efficace ».
« Je comprends, mais si ça ne vous dérange pas, il vaudrait mieux que j’aille interviewer le premier. Ce serrait mieux pour mon avancement ».