Punitions
« Il faut réduire notre train de vie. Nous avons vécu au-dessus de nos moyens grâce au crédit. Maintenant arrive le temps où il faut payer. Et puis nous gâchons trop. Vous vous rendez compte du gaspillage de nourriture dans nos assiettes ? Alors que tant de gens ont faim dans le monde. Et puis nous ne travaillons pas assez. Quand je pense qu’il n’y a plus personne dans les bureaux le vendredi après-midi, ça me fiche la honte. Mettons-nous au boulot ! Et puis, il faut se remuer. Regardez-moi ça l’obésité gagne du terrain. La Sécu est au bord de l’explosion ! Vite ! Tout le monde au sport !»
« Avec vous, il faut toujours être puni. C’est de l’auto flagellation permanente. Et le plaisir de vivre qu’est-ce que vous en faites ? »
« Le quoi ? Le plaisir ? Mais c’est de l’oisiveté. Mettez-vous dans la tête que nous existons par erreur. Par une espèce de combinaison hasardeuse d’atomes qui provient d’un dérèglement momentané des lois de l’univers. Il n’y a pas de quoi faire les malins. Il faut se faire tout petits dans notre coin en espérant que le Grand Manitou qui se cache quelque part oublie l’opulence dans laquelle nous nous roulons tous les jours ».
« Parce que vous croyez que le Grand Manitou n’apprécierait pas ? Peut-être qu’il nous féliciterait de notre débrouillardise. Passer en quelques milliers d’années de l’âge de pierre à la révolution du numérique, il fallait le faire. Il ne trouvera pas ça sur beaucoup de planètes ! »
« Vous voulez rire ! Il est très inquiet le Grand Manitou. Au train où va le progrès, il se demande si nous ne nous amusons pas à menacer son pouvoir suprême. Bientôt, nous pourrons réinventer un homme à partir de petits morceaux de corps comme dans un jeu de Lego. Le Grand Manitou n’est pas très content. Il faudrait que nous soyons beaucoup plus modestes. Arrêtons d’avoir de l’imagination. Repentons nous de notre audace intellectuelle. Invoquons sa mansuétude » .
« Bon, si vous voulez. Mais moi, je n’ai pas l’intention de m’excuser d’exister et de me punir à tout bout de champ. Si ça ne vous ennuie pas, vous pourriez vous repentir à ma place. Vous faites ça très bien. Pendant ce temps-là, je vais vivre un peu. A propos, vous partez au ski, cet hiver ? »
« C’est une plaisanterie. L’industrie du loisir est un piège à fric pour les masses laborieuses. C’est vous qui cherchez à culpabiliser les gens en imposant comme une évidence un modèle de consommation que les pauvres n’arrivent pas à suivre. Vous leur imposez la double peine : non seulement ils ne vont pas skier, mais en plus ils ont un sentiment de déclassement puisqu’ils ne peuvent pas dire qu’ils vont en vacances de neige ».
« Si je comprends bien, il ne faut pas se distraire non plus. Ou alors s’assurer que tout le monde puisse avoir les mêmes distractions ».
« Absolument, les plaisirs détournent de l’essentiel… Bon, allez, je vois que vous êtes bouleversé. Vous pourrez aller au marché avec votre femme samedi matin. C’est agréable comme promenade, non ? Et puis, vous oublierez vite cette petite augmentation de salaire que vous êtes venu me demander par erreur ».
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