La mécanique humaine
18 octobre, 2012« Il y a toujours des petits détails qui me pourrissent la vie. Il faut recharger le téléphone, penser à payer les impôts, retirer de l’argent au distributeur, mener le chat au vétérinaire, acheter le journal, sortir les poubelles, passer à la boulangerie… Et je me pose quand ? ».
« Vous n’avez pas à vous reposer. Et puis quoi encore ? Vous voudriez avoir le temps de réfléchir peut-être ? Non, vous devez vous lever tôt, bosser, élever vos enfants, consommer pour relancer l’économie, et regarder la télé pour savoir ce qu’il faut penser des problèmes au lieu de perdre votre temps à vous faire votre opinion. C’est comme ça. Et puis à la fin, on vous enterre. »
« C’est gai. Moi, je m’en fiche. Je réfléchis en mettent mes machines à laver en route ou en faisant mon ménage. C’est interdit, je sais. Mais je ne peux pas vivre sans réfléchir ».
« Eh bien ! Il doit être bien fait votre ménage ! Le souci avec vous c’est que vous n’êtes pas assez docile. Vous comprenez bien que si tout le monde met en cause le fonctionnement social même en faisant le ménage, on va droit dans le mur ».
« Et si je prends le temps de réfléchir avant de m’endormir ? »
« Non, ça ne va pas non plus. Les médecins le déconseillent formellement. Au contraire, dès que vous avez la chance d’être dans votre lit, il faut vous décontracter, faire le vide dans votre esprit, ne plus vous sentir concerné par rien. C’est comme ça que vous aurez – peut-être- une chance de vous reposer avant d’affronter une nouvelle journée, strictement conforme à la précédente».
« Si je comprends bien, en état de veille, il faut avancer sans se poser de questions et quand on se couche, il faut s’en poser encore moins ? Et vous croyez qu’on va beaucoup progresser comme ça ? Pasteur n’aurait pas inventé son vaccin s’il n’avait pas bousculé les habitudes de sa vie ».
« Oui, bon peut-être. Mais on n’est plus là. Maintenant, on n’est vacciné contre tout. Si vous ne respectez pas les conventions sociales, vous allez vous sentir frustré. Vous allez être malheureux. Réagissez avant qu’il ne soit trop tard et surtout ne réfléchissez plus. Foncez ! Sans vous écarter du chemin tracé, évidemment».
« Vous voyez ? Avec vous dès qu’on s’interroge, on part en guerre contre l’ordre social ! C’est extraordinaire. Je voudrais simplement de temps en temps me dégager des petits avatars de la vie pour me demander qui je suis réellement. Ce n’est pourtant pas compliqué ! »
« Alors là, évidemment ! Vous allez vous épuiser ! Si vous n’agissez plus mécaniquement, vous n’allez pas en sortir. Un peu d’humilité, vous n’êtes qu’une petite horloge, remontée pour vous agiter sur Terre, selon un mode préprogrammé par des Forces bien plus importantes que vous. Et puis quand le ressort est à bout de souffle. Pff ! C’est terminé ! »
« Bon, voilà le métro qui arrive. Ma mécanique va au boulot !… »
« Ciao ! Demain, même endroit, même heure ! »