Je suis transparent. Un vrai cas. Partout où je passe personne ne me voit.
Il ya des personnes qui imposent leur présence. Moi, je domine par mon absence.
Les gens parlent de moi devant moi. Comme si je n’étais pas là. J’en apprends d’ailleurs de belles sur mon compte.
Personne ne m’adresse la parole. Lorsque quelqu’un se trompe en m’apostrophant, son entourage s’inquiète : il se pourrait qu’il s’agisse du cas pathologique d’un être humain qui parle tout seul.
Lorsque je tente de m’exprimer, seul le silence me répond. Même pas gêné, le silence. La conversation roule comme si je n’avais rien dit. D’ailleurs, je n’ai rien à dire puisque je suis transparent. Je ne retiens rien, pas la moindre réflexion, pas la plus petite information. Non seulement je suis transparent, mais je suis sans aucune épaisseur.
C’est d’ailleurs assez pratique : je peux me glisser dans une rame de métro même lorsqu’elle est bourrée, je ne tiens aucune place au sol. Personne ne m’a encore accusé de lui marcher sur les pieds ou de lui souffler dans le nez. De toute façon, quand j’entre quelque part, personne ne se pousse.
Intellectuellement, je n’ai aucune envergure. Je n’ai d’avis sur rien. Je prends l’avis des autres, c’est plus simple. Et puis, si j’ai tort, on sera au moins deux. En littérature, je ne lis rien. De toute façon, je n’arrive pas à me souvenir du titre des livres. Je mélange les auteurs. Qui pourrait s’intéresser au goût littéraire de celui qui confond Zola et Balzac, Lamartine et Diderot ?
J’existe néanmoins. Plus exactement, je respire. Pas trop fort, pour ne gêner personne. J’ai une enveloppe corporelle. La dernière fois qu’elle a été auscultée, le médecin n’a rien entendu. Il faut dire qu’il a mis un certain temps avant de s’apercevoir que j’étais assis dans son cabinet.
Dans un magasin, je tousse pour attirer l’attention des vendeurs. La plupart s’enfuient par peur d’un mauvais microbe. A la caisse, je dois insister pour payer mon dû.
Dans le train, on me demande si la place que j’occupe est libre. Le contrôleur oublie toujours d’exiger mon titre de transport. Il faut élever le ton pour qu’il consente enfin à faire un trou dans mon billet.
On m’oublie partout. Au restaurant, on ferme alors que j’en suis encore au dessert. Sur l’aire d’autoroute, le car part sans moi. Au bureau, tout le monde a été déménagé, sauf moi. Au foot, j’ai réussi à jouer à douze dans une équipe de onze. A la messe, il n’y avait plus assez d’hosties quand mon tour est arrivé. Au cinéma, je ne trouve même plus de strapontin.
Ma femme dit qu’elle est veuve. Mon fils s’est déclaré orphelin.
Globalement, je n’ai aucune importance. Dans le registre de l’inexistence, il y a des grades. Mon ambition est de passer de transparent à invisible.