Archive pour septembre, 2012

Vertige

30 septembre, 2012

« Votre ton doctoral cache mal le vide de votre pensée ».

« Je fais comme tout le monde, je prends l’air inspiré pour qu’on croit que je dis quelque chose d’important. Il faut que je m’exprime sur tout sinon je ne me sens pas très bien. Vous ne voudriez pas que je m’évanouisse ?».

« Et si vous ne parliez qu’au moment où vous avez quelque chose à dire ? ».

« Si on y va par là, il n’y a plus moyen.  Moi, il faut que je la ramène. Même à propos des sujets que je ne connais absolument pas. Si je ne donne mon avis qu’à l’occasion de problèmes à propos desquels j’ai une légitimé quelconque à prendre position autant dire que je me condamne au silence puisque je connais rien à rien ».

« Oui, effectivement c’est embêtant. Mais vous pourriez poser des questions intéressantes. Les gens qui savent quelque chose aiment bien qu’on les sollicitent ».

« Certains n’aiment pas trop. S’ils transmettent leur savoir, ils s’en trouvent démunis. Moi, je ne risque rien. Comme je ne sais rien, je peux le transmettre. Je ne risque pas grand-chose, les autres non plus ».

« Vous avez l’air tellement sûr de ce que vous dites que vous risquez de tromper des personnes influençables ».

« Certes, mais enfin je dis souvent d’un air contrit : « Ce n’est que mon avis ! ». Comme ça les gens sont prévenus. Ils ne sont pas obligés de croire ce que je raconte. D’ailleurs qu’ils le croient ou pas, ça m’est un peu égal, l’essentiel c’est que j’ai pu le placer dans la conversation ».

« Si je comprends bien, le vide de votre pensée ne vous effraie pas ? ».

« Si un peu, mais c’est comme le vertige, il suffit de ne pas regarder en bas et de continuer à avancer comme si rien n’était ».

« Et ceux qui ont quelque chose à dire d’intéressant, vous en faites quoi ? ».

« Donner leur mon mail, je le dirai à leur place. La plupart des gens qui réfléchissent ne savent pas très bien exprimer le fruit de leur pensée. Heureusement que des personnes comme moi existent. Nous ne savons pas grand-chose, mais nous le disons bien ».

« Encore faut-il que vous compreniez ce que les intellectuels ont trouvé en pensant. C’est peut-être un peu compliqué pour vous ».

« C’est pas grave, la langue de bois, ça sert à tout. Notamment à dissimuler mes vides. C’est comme un vêtement rapiécé. Ou un pneu crevé. On colle une rustine sur le trou et hop ! On repart ».

« Votre conception de la communication n’est-elle pas un peu cynique ? »

« Si, mais je ne sais rien faire d’autre. Si je commence à me demander l’intérêt de ce que je représente pour mes interlocuteurs, alors… ».

Ingrédients

29 septembre, 2012

La nouvelle s’est répandue come une tâche d’huile.

Il faut dire qu’elle ne manquait pas de sel.

Quand Jules l’apprit, au moment où il dégustait son steak à la sauce au poivre,

 La moutarde lui monta au nez.

Son teint vira au bleu de colère.

Il faut dire qu’il se serait couvert de lauriers

S’il avait fait vinaigre pour la diffuser le premier.

Il se dite en lui-même : « Aïe, aïe, aïe ! »

 

Bouboule

28 septembre, 2012

C’était un homme, tout en rondeurs.

Ce n’était pas un boulet.

Ancien champion de ballon ,

Il avait des billes

Pour se faire admettre dans les hautes sphères de la politique

En parcourant le globe de long en large.

Il avait parfois les boules,

Mais savait surveiller ses globules blancs et rouges.

Il offrait des perles aux conquêtes

Qu’il rencontrait dans son cercle d’amis.

Vive l’autorité !

27 septembre, 2012

« Veuillez m’excusez, quelques ordres à donner… »

« Vous avez encore des gens à qui vous pouvez ordonner quelque chose ? »

« Non, mais je fais semblant, ça me rassure. »

« Vous avez raison. Moi, tout le monde me commande. Chacun exerce un petit bout de direction sur moi. C’est comme ça depuis la restauration de l’autorité. Ma femme, mon curé, mes chefs, mes gamins… Les tyrans ne manquent pas. Je dois obéir à tout le monde. Avec soumission et fidélité, sinon, je suis un très mauvais citoyen. L’autorité est nécessaire à la vie collective. Enfin, il parait… »

« Je connais ça. Et en plus, si vous obéissez sagement comme on vous le demande en ayant l’air de manquer d’autorité, on vous reprochera de manquer d’autorité et on abusera de votre soumission. C’est paradoxal. »

« Remarquez qu’on arrive à finasser. Quand vous avez plusieurs chefs, vous pouvez essayer de les mettre en contradiction les uns avec les autres. C’est facile. Pendant qu’ils se disputent, vous êtes tranquille. Par exemple : essayez d’introduire un sentiment de fraternité au bureau en soutenant que vous êtes dans une grande famille. Tout le monde sera bien embêté, car personne ne peut se payer le luxe de ne pas être d’accord sur la nécessité de la fraternité. De là à l’introduire dans un monde que chacun sait hautement concurrentiel… »

« Je vais essayer. »

« Ça va mettre une certaine pagaille, mais pendant ce temps là, plus personne n’osera vous donner des ordres. Pendant que vous y êtes, vous pourriez aussi introduire des valeurs d’entreprises dans votre ménage : rentabilité, rationalisation des processus productifs, compression des coûts. Personne ne s’opposera à la perspective d’avoir un peu plus d’argent à la fin du mois. Votre femme sera admirative et ne vous commandera plus à tout bout de champ. Peut-être même que vous pourrez lui faire des remarques sur sa tendance à vider le cumulus d’eau chaude pour ses ablutions. »

« Vous croyez ? Ce serait un renversement dans le jeu du pouvoir au sein du couple. Elle ne va pas être contente. »

« Il faut savoir ce que l’on veut. Le pouvoir est un tigre de papier. Il faut peu de choses pour le déstabiliser. En un mot : le pouvoir est à votre portée ! »

« Vous croyez ? Je n’ai pas tellement l’habitude… »

Une combattante

26 septembre, 2012

Chez le coiffeur, Eloïse se fera crêper le chignon.

Elle devait ensuite passer au tabac.

Puis au bistrot pour taper le carton.

Elle allait ensuite se cogner Marthe pendant deux heures.

Qui voudra boire une coupe de champagne brut.

Après ça, elle se rendra à l’église. Elle rentrera dedans.

Le soir, elle corrigera les devoirs de ses élèves.

Puis, elle arrangera le portait penché de son grand-père dans sa chambre

Avant de se jeter au lit pour en écraser.

Indignations

25 septembre, 2012

« N’oubliez pas de vilipender ».

« Qui voulez-vous que je vilipende ? ».

« Je n’en sais rien. Débrouillez-vous ! Vilipendez les joueurs de foot qui gagnent trop d’argent, les pauvres qui n’en ont pas et qui font rien pour en avoir, le gouvernement qui distribue celui des uns aux autres ! Enfin bref, il faudrait que vous en vouliez à tout le monde. Si vous pouviez dégoiser aussi sur les banquiers  et les plombiers, ça m’arrangerait. Vous voyez ce que je veux dire ! Il faudrait dire du mal de tous ceux qui ont un rapport particulier à l’argent ».

« Ça va servir à quoi ? »

« A pas grand-chose, mais ça permet de se défouler. Vous vous exprimez fortement  contre tous ces gens et vos interlocuteurs peuvent s’émouvoir d’autant plus tranquillement que les incriminés ne sont pas là. Il y en aura sûrement un qui va vous raconter qu’il a vu un reportage à la télé dans lequel un nabab du pétrole dépensait 1000 fois le Smic pour passer une nuit dans un hôtel de luxe ».

« C’est vrai que c’est un petit peu scandaleux ».

« C’est vrai, mais ça permet surtout de s’indigner facilement. C’est important de s’indigner. On a l’impression de faire partie des Justes et d’avoir raison contre la Terre entière. On est tous des David contre des Goliath. Par exemple, vous ! Ne me dites pas que vous n’avez pas envie de vous élever contre les injustices sociales ! ».

« Oh, vous savez, moi je fais mon job et je ne demande rien à personne… »

« Et voilà ! J’en étais sûr ; c’est l’individualisme qui reprend le dessus ! La faim, la misère, les guerres aux quatre coins du monde, ça ne vous indigne pas ? » .

« Si, un peu. Mais je ne peux pas partir sac au dos en Papousie pour régler leurs problèmes. J’ai déjà du mal avec mes factures EDF ! Alors, vous comprenez, j’ai des indignations de pauvre, moi ! ».

« Bon, d’accord. On va faire pauvre. Tous ces déchets ménagers qu’on jette n’importe où, à côté des poubelles, dans la rue, ça ne vous indigne pas ? ».

« Maintenant que vous le dites, si un peu aussi. A vrai dire, j’ai tellement l’habitude de me promener dans des rues sales que j’ai perdu de vue l’idée qu’elles pourraient être propres. Ça pourrait même me déstabiliser.»

« Hé oui, un jour, au train où vont les choses, les enfants de nos enfants s’indigneront de se promener dans un environnement propre. Il faut apprendre à s’indigner correctement. Vous auriez besoin de cours basique, du niveau 1 de l’indignation. Passons de la résignation à l’indignation. Je suis indigné de votre résignation ! »

Salon de l’auto

24 septembre, 2012

Théo avait une vie familiale bien remplie.

Il savait faire la cuisine grâce à son auto-cuiseur.

Ouvrir une bouteille avec un tire-bouchon.

Couper le pain.

Planter des clous.

Manipuler une chignole pour faire des trous.

Véhiculer de bonnes nouvelles dans son voisinage.

Faire des multiplications : 4×4, par exemple.

La seule chose qu’il ignorait, c’était de conduire une voiture. 

Encore des problèmes de communication !

23 septembre, 2012

« Je trouve que vous passez trop de temps à vous regarder le nombril ».

« Oui, c’est vrai. Je n’en finis pas. Je trouve mon nombril plus intéressant que celui des autres. Vous n’êtes pas de cet avis ? ».

« Pas vraiment. Ce n’est pas très sain. C’est au contact des autres que vous vous enrichirez, pas au vôtre ».

« Qu’est-ce qu’il a mon contact ? »

« Rien. J’essaie juste de vous dire qu’on ne peut pas se suffire à soi-même. Il faut accepter la différence, la contradiction, l’opposition ».

« Oui, mais j’ai horreur des conflits. C’est toujours moi qui ai le dessous ».

« D’accord, il y a des inconvénients, mais en vous endurcissant un peu, vous trouverez beaucoup de satisfaction à vous ouvrir aux autres ».

« Il faudrait aussi que les autres s’intéressent à moi ».

« Alors là, on retombe au niveau le plus bas. Ne pensez pas toujours à vous ».

« Bon d’accord, je vais m’intéresser à vous. Comment ça va ? Et au boulot, vous n’êtes pas trop bousculé ? »

« Si, un peu. C’est toujours sur moi que retombent les corvées. J’en ai marre. J’en ai parlé à Duchemin qui s’en fout complètement. Lorsque j’en parle chez moi, ma femme me dit que je ne sais pas m’imposer que je suis une chiffe molle ».

« Mon pauvre ! Il ne faut pas hésiter à vous en ouvrir à  moi ! Je suis là pour ça …. Bon, je me suis intéressé à vous, mais ça ne m’a pas beaucoup enrichi. C’est même assez déprimant. Vous n’allez pas bien du tout ».

« C’est vrai. Mais vous m’avez permis d’exprimer mon mal-être. Maintenant, je vous considère comme un être fiable, cultivé, civilisé, avec lequel on peut parler. Vous êtes investi de ma reconnaissance. Vous devez vous sentir valoriser, maintenant ? »

« Euh, non ! Pas vraiment. Je suis surtout content de ne pas avoir autant d’ennuis que vous. Et je n’ai pas envie de poursuivre la conversation car je suis sûr que vous allez encore pleurnicher sur vous-même. Bref, si vous pouviez être un peu plus intéressant, ça m’arrangerait. Je pourrais alors m’intéresser à vous avec plus de conviction ».

 

Propriété collective

22 septembre, 2012

« Je n’ai pas le temps ».

« Bin… si, vous l’avez le temps. Vous avez le temps que nous avons tous, nous sommes tous copropriétaires  du temps. Ou plutôt non ! Le temps n’appartient à personne, il ne fait que passer. Personne ne peut le prendre le temps. A la rigueur, on peut le regarder passer, comme les vaches observent le train ».

« C’est compliqué votre truc. Pour moi, la question, c’est de savoir comment je le remplis le temps ! »

« C’est très simple. D’abord, vous commencez par dormir 25 % du total. Puis vous mangez pendant une heure de votre journée. Puis vous allez au boulot et vous en revenez… »

« Si je comprends bien, je sacrifie 8 heures par jour à ne rien faire ou à satisfaire des besoins primaires. Et pendant ce temps là – si j’ose dire- le temps en profite pour passer et me saboter un tiers de ma journée ».

« Oui et après, vous allez gâcher un autre tiers à votre bureau pendant lequel vous allez répéter trente fois que vous n’avez pas le temps. »

« Et le dernier tiers ? »

« Vous le passez à regarder bêtement votre télé en attendant qu’il passe. Ou bien à lire dans votre journal ce que vous avez déjà entendu à la télé ».

« Il n’y aurait pas un quatrième tiers pendant lequel je pourrais faire quelque chose d’intelligent ? »

« Bin… non. Il y a bien le week-end, mais vous devez faire vos courses et votre ménage. « 

« Bon, récapitulons. Si je comprends bien, je n’ai jamais de temps pour la bonne raison qu’il ne m’appartient pas. C’est plutôt le temps collectif que j’essaie d’occuper de mon mieux. Je suis un vrai squatter du temps. Je pourrais peut-être créer une agence immobilière du temps. Il doit y avoir du fric à se faire avec tous ces gens qui cherchent du temps de libre ».

« … »

« Par exemple, vous me loueriez une demi-journée et vous pourriez l’occuper à votre manière. Ce ne serait pas beau ça ? »

« C’est un peu surréaliste votre affaire ».

« Pas du tout ».

« Si, parce que vous proposez de vendre de l’espace-temps qui est, en fait, un don du ciel, gratuit pour tous ! Vous vous l’appropriez indument, c’est du vol ! Vous ne pouvez pas débiter le temps en tranches et le vendre comme du jambon. Le temps, c’est comme l’air, ça appartient à tout le monde ! »

« Bon, je veux bien. Mais alors, il faudrait arrêter de dire que vous n’avez jamais le temps ! »

Le dortoir

21 septembre, 2012

Le bucheron s’endort comme une souche.

Le boxeur sommeille à poings fermés.

Le chauffard en écrase.

Le soupirant s’assoupit.

L’éleveur de volaille roupille come un loir.

Le motoriste ronfle.

Le ressort se détend.

Le dégourdi s’engourdit.

Le dineur dort.

La fortune arrive.

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