Archive pour juillet, 2012

Un individu louche

31 juillet, 2012

 Il est gentil, ce garçon,  mais il n’est pas de notre monde.

D’abord, il n’est pas très poli. Il dit « bonne journée », le matin en ayant l’air d’espérer que vous allez passer une journée excellente. Alors que tout le monde sait que cette phrase est un rituel qui n’implique absolument rien sur le fond. Parfois il récidive : « bonne fin de journée », l’après-midi. On a l’impression qu’il compatit en pensant à la soirée misérable que vous allez subir devant l’humeur morose de votre conjoint. Quel manque de tact !

Et puis, pour les vacances, il ne part pas de chez lui. Vous trouvez ça normal ? Quand on passe 30% de son budget dans son logement, on doit se dépêcher de le quitter dès le premier jour de congé pour ne pas ressasser son amertume en ayant constamment sous les yeux un poste de dépense aussi important. Quel mauvais exemple il donne à ses voisins ! Quant aux difficultés de l’industrie touristique, alors là, ça lui passe au-dessus….

Savez-vous qu’il ne sort jamais la nuit du 31 décembre, pour hurler son contentement comme un imbécile et constater que la nouvelle année commence bien un 1er janvier, tout en participant au compte à rebours. C’est incroyable ! Pour qui se prend-il ?

Et en voiture ! Quel comportement ! Toujours à respecter le code de la route. Et va-z-y que je laisse passer les vieilles dames aux passages cloutées. C’est tout juste s’il ne descend pas pour les aider. Et va-z-y que je ralentis aux abords des écoles ! Ce n’est pas comme ça qu’on apprend aux gamins à faire attention ! Si on commence à ne plus se prendre pour les plus malins dès qu’on est au volant, où va-t-on ? Je vous le demande !

C’est vrai qu’il est sympa. Mais qu’est-ce que c’est ces manières de jouer au bon citoyen. Toujours là pour accomplir son devoir électoral au lieu de s’en foutre comme la majorité des électeurs normaux. Encore un peu et il va nous convaincre de nous intéresser aux affaires publiques ! Vous ne croyez pas qu’on a déjà assez à faire avec les nôtres ? Et le tri de ses ordures, il y passe tous ses week-ends ! Si on y va par là, il y aura bientôt plus moyens de balancer ses déchets n’importe où !

Bon, accordons-lui quelques bons points quand même. Il parait qu’il regarde les émissions débiles à la télé comme tout le monde. Ou bien qu’il professe des opinions sans intérêt apprises au journal télévisé de la veille. Comme quoi, il n’est pas tout à fait perdu pour une vie sociale accomplie.

Mais il faudrait quand même qu’il arrête de ne pas s’endetter. C’est vrai, ça ! On se met des crédits jusqu’au cou pour faire tourner l’économie nationale, et monsieur vit bien tranquillement ses fins de mois sans une traite à payer. Il faudrait un emprunt obligatoire pour ceux qui n’en ont pas.

Quant à ses enfants, c’est invraisemblable ! Ils ont fait ce qu’ils ont voulu ! Il ne leur a pas fait la morale, ne leur a rien interdit. Et vous savez quoi ? Ils ont refusé d’échouer à leurs examens. Pas un qui ait eu le bon goût de tomber dans la délinquance conformément à son absence d’éducation. Ils ont tous des postes haut-placés dans la finance et l’industrie. Quand je pense au mal que je me suis donné pour éduquer convenablement les miens ! Ça me fait penser qu’il faut que j’aille chercher Julien au commissariat.

Un homme du batiment

30 juillet, 2012

Jean était un homme brut de décoffrage.

On avait l’impression de parler à un mur.

Il était riche de vingt briques.

Quand il parlait, il avait toujours des arguments en béton.

Un jour, il lui arriva une tuile.

Comme si un obus de mortier lui tombait sur la tête.

Il garda son sourire de façade.

Mais bientôt, son échafaudage s’effondra.

Quel gâchis 

Nos programmes de télé de la semaine

29 juillet, 2012

« La plupart des gens regardent la télé sans la regarder vraiment ».

« Vous exagérez. Il y a parfois des programmes très intéressants ».

« Si je vous demandais ce que vous avez vu hier soir ? »

« Euh… une émission avec plein de gens qui rigolaient autour d’une table. Je n’ai rien compris de ce qu’ils disaient entre eux, mais comme tout le monde riait, je me suis marré aussi. Je ne me souviens plus du titre de l’émission ».

« Ce n’est pas grave. De toute façon, des programmes comme celui-ci, il y en a sur toutes les chaines. Récemment, vous n’avez pas regardez d’émission où l’on comprend quelque chose ? ».

« Non. C’est dur d’en trouver une. Il y a bien ce genre de programme où l’on voit des filles nues sous la douche. Mais je ne suis pas sûr qu’il satisfasse un public d’intellectuels ».

« En effet. Moi  je préfère les émissions littéraires ! »

« Oui, mais l’animateur convie beaucoup de gens et il s’arrange toujours pour que les invités se disputent. Comme ils parlent les uns sur les autres, on finit par ne même plus savoir pourquoi ils se disputent. Mais l’animateur à l’air content. Il doit penser que son émission est vivante ».

« C’est vrai ça. On se demande d’ailleurs pourquoi on achète une télé. Pour voir des gens s’engueuler, il suffit de se rendre au bureau ».

« Finalement, il n’y a que le foot qui vaille quelque chose. Il suffit de connaître les règles.  Les commentateurs ne disent rien d’intéressant sauf le nom du joueur qui a le ballon. De toute façon, son nom  est inscrit dans son dos. Donc on peut couper le son ».

« J’aime bien les commentaires d’après-match aussi. C’est plein de journalistes qui expliquent comment, eux, ils auraient marqué le but que les avants ont manqué ou bien comment ils auraient arrêté le pénalty de la 67 ème minute. Ils n’ont pas grand-chose à faire, mais pendant ce temps là, on n’a pas d’émission encore plus nulle ».

« Ce serait difficile. Encore que j’aime bien les jeux télévisés. Il y en existe certains dont personne n’a jamais compris les règles. Même pas les animateurs. Les gagnants ont toujours l’air tout surpris de gagner. ».

« J’aime bien aussi ceux où l’on pose des questions coquines sur la vie de couple des candidats. En général, ça vole très haut ».

« On critique, on critique…. Mais si on n’avait pas la télé, je suis sûr qu’on nous inventerait des spectacles aussi bêtes. Tenez ! Regardez les romains. Ils allaient passer leur dimanche après-midi au cirque pour voir du sang couler. C’est quand même bien l’indice que notre civilisation a progressé ! ».

Armes blanches

28 juillet, 2012

Jean et Jacques se disputent à fleurets mouchetés.

Un coup de poignard dans le dos est vite arrivé !

Louis intervient, mais c’est un coup d’épée dans l’eau.

Marcel prend le relais. : il dit qu’il faut enterrer la hache de guerre.

Il voudrait sabrer le champagne avec les deux belligérants.

Pour qu’ils arrêtent de se cogner.

Jean et Jacques sont sur le fil du rasoir.

Une lame de fond pourrait les emporter.

Surtout s’ils continuent à se mettre en glaive…. Euh !non ! …. Grève !

Une drôle de basse-cour

27 juillet, 2012

Dans l’étable, Marguerite , surnommée « la vache à vacheries », se répand en médisances.

En compagnie de la jument Juliette, une vieille rosse.

Germain , le chameau intervient souvent dans la conversation pour en rajouter.

Quand au fils de Marguerite, il hurle comme un veau.

Par contre, Géraldine la brebis est sage commun mouton.

Georgette se pavane sous la pluie après avoir pondu un œuf : c’est une poule mouillée.

Son compagnon Henri prépare des spaghettis pour le repas : il est comme un coq en pâtes.

Kamel trébuche en allant  lui rendre visite : c’est un canard boiteux.

Il ne faudrait pas qu’on casse deux pattes à ce canard.

Un individu normal

26 juillet, 2012

« Il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or ».

« Ça ne risque rien, je n’ai pas de poule. Et puis de toute façon, quand ma mère avait Juliette, la petite poule rousse, elle ne pondait que des œufs normaux. Avec du blanc et du jaune. D’ailleurs, moi aussi, je sui normal. La preuve : je n’ai aucun talent. Mais alors ce qui s’appelle aucun. Je ne peins pas, je ne suis pas sportif, je n’ai rien inventé. Je me contente d’être : dormir, bosser, manger.

Et puis je pars en vacances. Le 15 juillet comme tout le monde. A Noël, je vais réveillonner chez belle-maman, comme Georges mon voisin, qui est – lui aussi – un individu normal.

Comme tout adulte convenable, je passe mes samedis chez Carrefour et à trier mes déchets.

Et je suis très content de mon existence.

Imaginez un peu la vie d’un être doté d’un don particulier. Il est toujours inquiet, anxieux de savoir s’il  n’a pas perdu son talent. Il lui faut rivaliser avec d’autres personnes qui auraient hérité de la même capacité. Le stress permanent quoi : les journalistes, les quémandeurs à sa porte !

Je suis tellement plus tranquille en ne sachant rien faire ! Par exemple, ne sachant pas tweeter, je ne risque pas de voir mes messages interceptés par des ennemis personnels bourrés de mauvaises intentions à mon égard. Normal, je vous dis !

Mon voisin Georges, lui, adore se faire remarquer par ses excentricités. Il est très connu pour son talent d’artiste lyrique. Ses prestations sont remarquées. Il est riche, adulée par des hordes de fans déchainés qui l’attendent à sa porte. Mais il est aussi très embêté. Aucun moment de répit. Toujours en voyage : l’Opéra de Paris, la Scala de Milan, New-York, Tokyo… Et pendant ce temps là, moi, je fais mes courses bien tranquillement à Monoprix. Je me plais à l’imaginer bousculer par la foule de ses admirateurs pendant que je choisis en toute quiétude mon savon liquide pour ma douche du matin. Je prends souvent « Fleur de Jasmin ». Compatissons tous au sort de Georges.

Je suis normal, mais j’ai tout de même mes idées. Je suis contre la guerre et la violence, pour l’égalité des sexes, contre la drogue, pour la semaine de cinq jours à l’école. Certes je n’ai pas d’enfants scolarisés, mais je suis pour quand même…. Oui, c’est vrai, l’an dernier j’étais contre, mis ils ont changé d’avis au journal de vingt heures ».

Je vois le rapport

25 juillet, 2012

Maurice est dans le trente-sixième en dessous.

Il n’a pas réussi à se qualifier pour les quarts de finale.

Ce n’est pourtant pas une demi-portion.

Il domine tous ses camarades depuis la sixième.

Il a été battu pour un millième de seconde.

Il retourne chez lui et se résigne à payer son tiers provisionnel.

Pour ne pas prendre dix pour cent de pénalité.

Cela ne lui prendra qu’une petite fraction de son temps.

Ce n’est rien par rapport au reste.

Hyper !

24 juillet, 2012

« Je suis un rapide, moi. Je vis à cent à l’heure ».

« Vous devez être fatigant. Prenez le temps de goûter à l’existence ».

« Le temps, je ne l’ai pas. Je travaille très vite. Je prends des décisions rapides et très pertinentes. C’est d’ailleurs assez étonnant. Je n’hésite jamais ».

«Vous êtes sûr que ce n’est pas une fuite devant l’existence. On dirait que vous avez peur du temps qui passe ».

« Pas du tout. Je suis un hyper individu, présent sur tous les fronts à la fois. Par moment, je me demande comment je fais. Et puis, en plus, regardez ! Je ne suis même pas fatigué ».

« Je ne vous envie pas. Moi, j’ai besoin de prendre mon temps. Prendre son temps, ce n’est pas le perdre ; c’est le prendre, c’est tout… ».

« C’est pas pour moi. Je suis un être dynamique. Toujours en mouvement. En plus, dans le bon sens. Certains sont en mouvement en marche arrière. Moi, c’est de l‘avant. Toujours de l’avant ».

« Et quand vous vous trompez parce que vous êtes allé trop vite. Comment faites-vous ? »

« Je ne reconnais surtout pas mes erreurs, ça pourrait freiner mon élan. Quand on se trompe, ce qui m’arrive rarement tant est colossale ma clairvoyance, je recommence tout aussi rapidement que précédemment ».

« Vous souffrez sûrement d’un complexe quelconque. Vous assimilez excellence et rapidité, c’est extrêmement dangereux ».

« Je ne me vois pas de complexe. Vous devriez poser la question à ceux qui lambinent, ne prennent pas de décisions, ne se lèvent pas tôt, bref vivent comme des limaces. En plus comme je fais beaucoup de choses, je suis un être intéressant ».

« On pourrait dire aussi superficiel… ».

« Pas du tout, je comprends vite et en profondeur. Par exemple, vous, je vous ai tout de suite cerné. Vous êtes un de ces soixante-huitards attardés qui en sont encore à penser qu’il faut se cultiver au lieu de bosser ou alors qu’il faut savoir marquer son indépendance d’esprit en partant à seize heures du boulot. Tous les jours. Moi, non seulement, je travaille comme une flèche, mais je sors tous les jours à vingt heures pendant que vous allez au ciné ou au musée. Bien tranquillement. Vous vous rendez compte du boulot que j’abats ?».

« Non pas vraiment. Et votre santé mentale, vous y pensez de temps en temps ? ».

« Dites tout de suite que je déraille du ciboulot. C’est un peu fort ! D’ailleurs, je ne vois pas le problème. Si ça déraille, j’ai bien dit si… Je fais venir le psy entre deux rendez-vous et c’est bouclé. Malgré mon agenda surchargé, je lui trouverais bien un petit quart d’heure ».

« Je vois, vous avez tout prévu ».

Je suis en petits morceaux

23 juillet, 2012

Mon compte en banque est  en ruine.

Physiquement, je suis un vieux débris.

Il ne subsiste aucun vestige de mon passé glorieux.

Je devrais trier mes déchets.

Et balayer mes miettes de pain.

Puis jouer un fragment de musique.

C’est tout ce qui me reste.

A part une parcelle de lucidité et de bon sens.

La consultation d’un clown

22 juillet, 2012

« Je vois rouge ».

« Pourquoi vous vous énervez, clown? ».

« Personne ne me prend au sérieux. Tout le monde pense que je ne suis qu’un rigolo. Un bouffon, voilà ce que je suis ! » .

« Il en faut. C’est une manière de dédramatiser la vie. Vous rassurez les autres. Vous ne vous rendez pas compte de votre importance ».

« Vous dites ça pour me faire plaisir. »

« Non ! Je sais bien que tous les clowns sont tristes ou alors ont envie de se prendre pour des comédiens dramatiques. Mais réfléchissez à la noblesse de votre mission. Le rie est le propre de l’homme, ce n’est donc pas sale. Amusez-vous et amusez les autres ! Ce n’est pas donné à tout le monde de distraire son prochain ».

« Bon d’accord. Mais je vais peut-être essayer de faire passer un message dans mon humour, ça fera plus sérieux. Je vais faire de la satire social. Tout le monde se reconnaitra. C’est encore mieux quand on rit de soi-même ».

« Oui, mais alors attention ! Pas de prise de tête ! Les gens aiment les choses simples. S’il faut réfléchir avant de rigoler, alors là… Vous manquerez votre cible. Restez terre à terre. Parlez de sexe. Ou alors dites des gros mots ».

« Je ne pourrais pas élever le niveau ? Juste un tout petit peu ? ».

« C’est bien parce que c’est vous. Je vous autorise à ponctuer vos phrases de « on s’en fout ! ». En général, c’est assez apprécié. Au-dessus de ce degré, vous allez agacer votre auditoire. On dira que vous vous prenez au sérieux ».

« C’est assez décourageant. Et si je ne disais rien ? Ce ne serait pas mieux ?  Un spectacle de silence !  Personne ne l’a jamais osé !».

« On va se demander si vous n’êtes pas malade. Et puis un autre prendra votre place comme amuseur public. La nature humaine a horreur du vide de clown. Vous seriez obligé d’écouter la vulgarité de votre successeur et d’applaudir, en plus ! ».

« Si je comprends bien, je suis condamné à faire rire. ».

« Bon ! On va dire que vous êtes en train de nous faire une petite crise de neurasthénie et d’intelligence. Ce n’est pas grave, ça va émouvoir votre public. Mais il ne faudrait pas que ça dure. Sinon, gare ! ».

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