Archive pour le 29 mai, 2012

Je vais vous rassurer, mais il faudrait d’abord que vous ayez peur

29 mai, 2012

« N’ayons pas peur de l’avenir. »

« Mais je n’ai pas peur. De toute façon, je suis assuré tous risques… alors… »

« Ce n’est pas de cela dont je parlais. C’est plutôt de votre existence d’être humain. Par exemple, un jour, vous allez être très vieux, en très mauvaise santé, vous ne pourrez plus parler. Ça ne vous fait pas peur ça ? »

« Si, un peu. Mais vous-même n’allez vous pas vieillir ? »

« Si, mais moi ce n’est pas pareil, j’ai beaucoup réfléchi à ma fin. J’aurai la sagesse du vieux lion qui s’éteint doucement sous son baobab préféré en regardant sa descendance s’ébattre joyeusement au loin. »

« Je n’ai pas de baobab sous la main. »

« C’était une métaphore. Prenons un autre exemple : vos enfants auront-ils la vie facile à l’avenir ? Leur laisserez-vous de quoi vivre tranquillement ? »

« Oh ! Je ne me fais pas trop de soucis. Marie a épousé un milliardaire dont elle tire tout ce qu’elle veut avec un de ces cynismes ! Je ne vous dis pas. Quant à Rodolphe, il fait des affaires juteuses au Brésil après avoir échappé de justesse à Interpol. »

« Il ya quand même bien quelque chose qui vous inspire de la crainte ? Vous ressentez sûrement une angoisse quelconque. Faites un effort ! »

« Mais pourquoi faut-il toujours avoir peur avec vous ? En fait, on dirait que c’est vous qui avez peur de quelque chose. Confiez-vous mon vieux, on est là pour vous écouter. Qu’est-ce qui vous effraie ? La fin des niches fiscales ? Vos diners chez votre belle-mère ? La suppression des émissions débiles à la télé ? Hmm ? »

« Ce n’est pas la question, vous ne comprenez rien. Ce qui nous distingue du règne animal, c’est que nous avons conscience de nous-mêmes et que nous tenons donc à la vie. Vous ne pouvez pas assurer à 100% que demain, vous existerez encore. Vous pouvez très bien vous faire écraser en sortant d’ici. C’est ça qui doit vous faire peur. »

« En général, je suis très prudent. Je traverse quand les automobilistes sont arrêtés au feu rouge. »

« Oui mais si vous échappez au trafic routier, il peut vous arriver toutes sortes de choses désagréables. Vous devez donc être très inquiet. Vous m’inquiétez de ne pas être inquiet. Je ne vois pas de goutte de sueur perler sur votre front. Votre regard n’est pas affolé. Je ne vous sens pas sur la défensive. Vous n’allez pas bien du tout, mon vieux. Vous n’êtes pas dans un état normal. Il faudrait être beaucoup plus stressé que ça. Il faudrait consulter. Pour commencer si vous pouviez vous bourrez de calmants, ça rassurerait tout le monde sur votre santé… »