L’art de la conversation
3 mai, 2012« Je n’aime pas les gens qui bavardent. »
« Moi non plus. Mais enfin ça fait du bien de dire n’importe quoi de temps en temps. Il faut que chacun s’exprime. N’importe comment, mais enfin qu’on s’exprime. C’est une détente de l’esprit qui fonctionne comme un ressort comprimé.»
« Moi, je suis sain d’esprit. Je ne dis pas n’importe quoi, je tiens des raisonnements construits. Je sais me faire comprendre. Quand je n’ai rien à dire, je me tais. »
« Mon pauvre, on ne peut pas être rationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il y a forcément un moment où il faut ouvrir les vannes. Et dire des vannes, si j’ose ce jeu de mots. »
« Alors, vous ça vous gêne pas tous ces babillages infantiles… Gna…gna… et il va faire beau ce week-end… et vous m’attendez pour aller au café… et vous avez vu Dumoulin, eh bien il ne dit jamais bonjour quand on le croise ! Après vingt siècles de civilisation, vous vous rendez compte ! »
« Oui un peu, mais ça crée de la convivialité, c’est dans les petites choses que se fondent la solidarité entre être humains. »
« On pourrait être solidaires et plus constructifs dans de grandes choses. Elevons le niveau. »
« Vous êtes marrant : moi je n’ai pas quelque chose d’intelligent à dire vingt quatre heures sur vingt quatre ! »
« Je reconnais que c’est compliqué. D’ailleurs même moi, je n’y arrive pas. Tenez, en ce moment je ne sais même pas quoi vous dire qui ne soit pas complètement niais tout en restant à votre portée. »
« Ah, vous voyez ! Demandez moi si j’ai vu le match hier soir… ça nous permettra d’embrayer sur autre chose et on aura peut-être la possibilité d’arriver à une discussion intelligente »
« Je ne peux pas, il n’y avait pas de match, hier soir. On ne pourrait pas démarrer d’emblée par quelque chose de plus intéressant. Par exemple, l’influence des marchés boursiers sur l’économie. Tous nos maux viennent de là : la financiarisation de l’économie. Vous y avez réfléchi ? »
« Pas vraiment, je n’ai pas beaucoup d’économies. »
« Ce n’est pas ce que je voulais dire… Vous voyez, c’est compliqué de vous entraîner sur des sommets un peu plus élevés que d’habitude. »
« A propos de sommets élevés, vous avez vu Dumoulin aujourd’hui ? On a rendez-vous pour une réunion dans son bureau. »
« Oh ! Celui-là ! Je le hais ! Figurez-vous qu’il ne me gratifie même pas d’un bonjour lorsque je le croise dans les couloirs. »