Un homme du peuple
31 mai, 2012« Qui êtes-vous ? »
« Je suis un homme du peuple, monsieur le député. Et je voudrais m’exprimer. »
« Vous voyez bien que je n’ai pas le temps, homme du peuple. Passez donc voir ma secrétaire. Je ne comprends pas pourquoi elle vous a laissé entrer. Si je dois parler avec tous les hommes du peuple, alors là… »
« Je ne vais tout de même exprimer mes problèmes de citoyen devant une secrétaire. Et puis c’est vous que j’ai élu, pas votre secrétaire. Vous devez vous saisir de mon vécu et faire entendre ma voix. C’est votre job ! »
« Moi je m’occupe des grands problèmes généraux : l’éducation, la culture, le commerce international, la crise. Je ne peux pas m’attaquer aux petites préoccupations de chacun, pourquoi pas à vos difficultés ménagères pendant qu’on y est ? »
« Justement, si vous pouviez dire un mot à Bernadette à propos des visites de sa mère, ça commence à faire beaucoup. »
« Ecoutez, cher homme du peuple. Si vous aviez une solution à la crise économique, ça m’arrangerait. Je vous promets d’aller voir Bernadette si ça marche. »
« Je ne vais tout de même pas faire votre travail. Vous n’avez qu’à écouter les infos, ils parlent tout le temps de la crise. Moi ce qui m’embête, ce sont les soirées chez ma belle-doche… Puisque c’est comme ça, je vais aller voir le chef de l’opposition locale, Vous venez de perdre une voix, cher député du peuple ! »
« Ecoutez, homme de la France d’en-bas, nous allons transiger. Vous m’apportez quinze voix supplémentaires aux prochaines élections et j’organise un carnaval des belle-mères. Comme ça, vous serez tranquille au moins une soirée. »
« Ce n’est pas assez. Il faudrait aussi vous occuper de Duranton, mon voisin. Il m’a rendu ma tondeuse à gazon complètement cassée. »
« Alors là, ça se complique un peu, évidemment. Je n’irai pas jusqu’à dire que vous me faites perdre mon temps, mais j’étais en train d’étudier le cas de l’Entreprise BRICOLO qui va licencier cinq cent personnes… alors, vous comprenez… »
« C’est ça. Duranton sème la pagaille dans tout le quartier et tout le monde s’en fiche. Ah, elle est belle la démocratie… »
« Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse de Duranton ? »
« Une petite arrestation arbitraire ? Ou alors inventer une prime pour les gens dont les Duranton cassent les tondeuses ? Ou bien une loi pour avoir le droit de choisir ses voisins ? Ayez un peu d’imagination que diable… »
« Bon d’accord pour un carnaval des voisins… »