Archive pour novembre, 2011

La brouette de Monsieur Blanchin

20 novembre, 2011

 Monsieur Blanchin était un instituteur dont la sévérité était redoutée par toutes les générations d’écoliers qui arrivaient au CM2 du village. Son crâne chauve, ses sourcils et son regard noirs ne toléraient aucun manquement à la discipline, ni aucun écart par rapport aux règles de grammaire. Lorsqu’il élevait la voix, son teint s’empourprait, ses bajoues tremblaient de colère, ses poings se serraient et s’abattaient lourdement sur son bureau en faisant voler les copies et les cahiers qui s’y entassaient. En vingt ans d’enseignement, aucun élève n’avait résisté à son autorité. A chaque rentrée, les nouveaux venus dans sa classe ruminaient leur cafard pendant toutes les vacances d’été, à la seule pensée de l’année qui s’ouvrait devant eux. 

Monsieur Blanchin avait institué un rituel connu de tout le village et très commenté dans les couloirs du rectorat. Il avait disposé au fond de sa salle de classe une brouette de jardinier. Chaque fois qu’un élève commettait une faute de grammaire, d’orthographe ou de vocabulaire, il devait obligatoirement transcrire cette erreur sur un papier, signer ce texte de son nom et déposer la page, pliée en quatre, dans la brouette de Monsieur Blanchin. 

A la fin du trimestre, la brouette était souvent remplie à ras bord. Monsieur Blanchin s’emparait alors de l’engin roulant et, suivi de ses élèves en rang par deux, la conduisait sur la place de l’église. Là, devant les hommes et les femmes du village réunis, Monsieur Blanchin allumait un feu de camp.

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Toute honte bue

19 novembre, 2011

Jean en a marre.

L’affaire est dans le lac.

La coupe est pleine.

Il s’étend sur son lit.

Toute cette agitation le bassine.

Il sait qu’il a des lagunes. Non, des lacunes, veut-il dire.

Il s’est noyé dans un verre d’eau.

Il ne faut pourtant pas avoir son bac.

Pour changer la cuvette du lavabo.

Il va boire le calice jusqu’à la lie et appeler le plombier.

Vues de près

18 novembre, 2011

Il tourna la clé de contact de sa voiture.

Puis se caressa le menton.

Il venait de toucher le gros lot.

Mais l’idée de partager ne l’avait même pas effleuré.

Cependant le remords le chatouillait.

Il palpa son ticket de loto dans sa poche.

Il allait surement se faire cajoler par les femmes.

Une voiture roulait à contre-sens : il frôla la catastrophe.

Il frémit.

De toutes les couleurs

17 novembre, 2011

Il se trouva à la rue de but en blanc.

Il était rouge de honte.

Puisqu’il se trouvait dans une misère noire.

Il dut se nourrir d’une orange volée.

Il se battit dans la nuit, reçut un marron

Et s’en tira avec quelques bleus.

Le temps était gris.

Mais la nature restait verte.

Il allait surement franchir la ligne jaune.

Du calme !

16 novembre, 2011

Tout vous exaspère : les gens, votre chef de service Dumortier, le temps, les transports en commun, les transports individuels… Arrêtez de vous énerver ! Je vais vous aider. Ce n’est pas très compliqué. 

Par exemple, vous ne savez plus où est votre trousseau de clés. Hé bien, vous vous promener tranquillement de la salle de bains au salon en passant par la cuisine, tout en ayant l’air décontracté. Si vous pouvez siffloter gaiement, c’est mieux. Je vous garantis que vos clés, indignées de votre indifférence, vont vous sauter à la figure ! 

Autre exemple : Dumortier vous submerge de travail. Aucune importance. Prenez le temps de longues séances de yoga dans votre bureau. Dumortier en arrivant dans votre espace personnel avec de nouvelles commandes sous le bras, tombera en pamoison devant la démonstration de votre sagesse. Il vous citera même en exemple ! C’est aussi simple que ça. 

Au tennis, vous êtes nul. Soyez encore plus nul ! Laissez gagner vos adversaires. Votre compagnie sera d’autant plus recherchée. 

En voiture, montrez votre calme. Laissez passer les piétons. Au besoin descendez de votre véhicule en vérifiant bien qu’il bouche le passage, pour aider les personnes à traverser la rue. Même celles qui n’en ont pas besoin. On ne se sait jamais. 

Proposez de payer vos impôts avant la date fatidique. Ajoutez un zéro à votre chèque. Tous les services fiscaux vous aimeront. 

Envoyez vos vœux de Nouvel An à des milliers de gens. Le facteur sera ravi de vous apporter les réponses. 

Faites de l’exercice physique à outrance. Qu’importe qu’on ne veuille plus vous voir au service des urgences après vos trois malaises vagaux ! 

Faites des cadeaux à tout le monde. Vous avez un découvert bancaire ? N’en faites pas toute une histoire ! Votre banquier comprendra vos désirs de dispenser de l’amour autour de vous. Il fermera les yeux et peut-être même vous aidera à dépenser encore plus grâce à un crédit à taux exceptionnel ! 

Proposez d’emmener les enfants de votre voisin à l’école, même s’il a peur de tomber sur un pédophile. Prêtez-lui votre tondeuse à gazon ! Lorsqu’il vous la rend cassée, n’hésitez pas à en racheter une autre ! 

Lisez ! Lisez beaucoup ! Vous confondez Balzac et Zola ? Qu’importe : partez d’un grand éclat de rire et dites qu’il ya tellement de rapprochements à faire entre ces deux grands auteurs qu’il est normal de les confondre. 

Ah !Ah ! 

Bonne route!

14 novembre, 2011

Il  rue dans les brancards

Et donne de la voix

Contre la venue de cet homme  de l’opposition au gouvernement.

Il devrait se calmer : il va se boucher les artères.

Il offre un boulevard à ses adversaires.

Qui vont donner libre cours à leur petitesse

En l’accusant d’arpenter les allées du pouvoir.

Pour trouver sa route vers les sommets

Après avoir chaussé les idées en vogue

Et abandonné en chemin ses convictions d’antan.

 

La fin de tout

13 novembre, 2011

Un jour viendra où il n’y aura plus rien. 

La boulangerie de Madame Sauvageot  restera béante, ouverte à tous les vents comme la gigantesque carcasse d’une baleine décharnée. Sur le comptoir bousculé par le temps, subsisteront quelques pièces esseulées de dix centimes d’euros, vestiges d’une civilisation passée. 

 Dans les locaux de la Sécurité Sociale qui ne sécurisera plus rien,  des cordons distendus et flageolants marqueront devant des guichets dévastés, la trace des files d’usagers qui ne se formeront plus jamais. 

A la banque, plus personne n’introduira sa carte bleue en dépit de la prière insistante des guichets automatiques. Quelques billets de banque s’en échappent déjà, poussés au loin par la bise mauvaise de l’automne naissant. 

Devant la caserne des pompiers, une voiture assurée de son impunité, restera mal garée pour l’éternité 

Au bout de la rue, le feu rouge sera bloqué sur cette couleur, plus aucun véhicule ne passera dans un sens. Ni dans l’autre d’ailleurs. 

Dans les travées sonores du stade, seules les corbeaux et les corneilles hurleront encore leur mécontentement. 

La rivière coule toujours, mais ses flots n’emporteront plus le reflet du visage des amoureux ou des imprudents qui se penchaient au-dessus du pont de pierres. 

Les rails du chemin de fer luisent encore au soleil en s’enfuyant dans les bois. 

Le clocher de l’église s’agitera encore parfois, appelant des fidèles disparus à leurs devoirs religieux devenus inutiles. 

L’arroseuse municipale aura abdiqué. Elle restera  prostrée à l’ombre du mur de l’école primaire. Aux carrefours, les massifs de fleurs s’éteindront les uns après les autres. 

L’air se purifiera des miasmes de la ville. On pourra respirer mais on ne le pourra plus. 

La campagne arrivera  en ville. Partout le lierre et la mousse s’épanouiront. 

Un chapeau de paille s’envolera. 

L’immobilité deviendra  l’immobilisme. 

Plus personne ne mendiera sa subsistance quotidienne. Partout ce sera la fin de la faim. 

Humidité

12 novembre, 2011

Marine marine en attendant Jules

Qui va arriver tout mouillé de chaud

En disant qu’il a oublié d’arroser ses géraniums

Ou alors qu’il trempe dans une affaire urgente.

Marine, imprégnée de bonne éducation le croira.

Il lui parlera de plongée sous-marine

Et de bains de minuit.

Lorsqu’ils partiront le trottoir sera inondé de soleil.

Et ils seront submergés de béatitude.

Grosso modo

11 novembre, 2011

Rien ne va : j’ai grossi.

Je suis ballonné.

J’ai la rate qui se dilate.

J’ai engraissé en Grèce.

J’ai abusé de la choucroute.

La dette publique enfle.

Ils viennent de majorer la Tva.

Le trou s’épaissit dans la couche d’ozone.

Le vent a forci.

Je n’exagère pas.

Je ne suis pas du genre à amplifier les difficultés.

Ils commencent à me gonfler.

Les ravages de la mondialisation

10 novembre, 2011

Dire que le bar de Lucio était un endroit infréquentable était un euphémisme doux et, d’une certaine façon, parfaitement savoureux. Ce lieu sombre se présentait comme un couloir long et étroit. Le zinc occupait le tiers du passage. II ne subsistait qu’un mètre environ pour disposer des petits guéridons en aluminium le long du mur, afin que les habitués aient un passage suffisant pour pénétrer plus avant dans la taverne du propriétaire. La lumière du jour, quand elle s’insinuait dans la rue, ne dépassait pas cinquante centimètres au-delà du seuil. 

Ce matin, derrière son bar, Lucio activait mollement un torchon d’une qualité douteuse pour essuyer ses verres. Ses joues envahies de pilosités noires, s’agitaient au rythme de ses gestes tandis que son regard tentait de percer les vitres de la porte de son bar qui dégoulinaient de crasse après la pluie de la matinée. Comme tous les autres, Lucio était inquiet pour son avenir. La journée allait être décisive. 

Gus était le seul client présent, comme chaque jour. Vers neuf heures, Gus asseyait sa silhouette maigre et brisée devant son ballon de rouge.et restait immobile jusqu’à midi avant de regagner son lit. Ses uniques mouvements consistaient à passer ses doigts décharnés dans les épis blancs qui hérissaient son crâne lisse. Ses rares paroles ressemblaient à des borborygmes incompréhensibles qu’il émettait sentencieusement après avoir trempé ses lèvres parcheminées dans son verre de vin.

(suite…)

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