La brouette de Monsieur Blanchin
20 novembre, 2011Monsieur Blanchin était un instituteur dont la sévérité était redoutée par toutes les générations d’écoliers qui arrivaient au CM2 du village. Son crâne chauve, ses sourcils et son regard noirs ne toléraient aucun manquement à la discipline, ni aucun écart par rapport aux règles de grammaire. Lorsqu’il élevait la voix, son teint s’empourprait, ses bajoues tremblaient de colère, ses poings se serraient et s’abattaient lourdement sur son bureau en faisant voler les copies et les cahiers qui s’y entassaient. En vingt ans d’enseignement, aucun élève n’avait résisté à son autorité. A chaque rentrée, les nouveaux venus dans sa classe ruminaient leur cafard pendant toutes les vacances d’été, à la seule pensée de l’année qui s’ouvrait devant eux.
Monsieur Blanchin avait institué un rituel connu de tout le village et très commenté dans les couloirs du rectorat. Il avait disposé au fond de sa salle de classe une brouette de jardinier. Chaque fois qu’un élève commettait une faute de grammaire, d’orthographe ou de vocabulaire, il devait obligatoirement transcrire cette erreur sur un papier, signer ce texte de son nom et déposer la page, pliée en quatre, dans la brouette de Monsieur Blanchin.
A la fin du trimestre, la brouette était souvent remplie à ras bord. Monsieur Blanchin s’emparait alors de l’engin roulant et, suivi de ses élèves en rang par deux, la conduisait sur la place de l’église. Là, devant les hommes et les femmes du village réunis, Monsieur Blanchin allumait un feu de camp.