Le temps passe si vite.
16 octobre, 2011Faisons comme si j’avais six ans. Qu’est-ce qui m’interdit de faire comme si j’avais six ans ? Au moins par l’imagination ?
Je vais faire mon entrée en CP. Ça sent l’encaustique. Il faut se mettre en rang par deux. Ça commence bien, moi qui ai horreur de m’aligner sur les autres ! Et puis, je n’ai pas envie de donner la main à ma voisine. Ça, ça me passera plus tard.
J’ai du enfiler un tablier. Je n’aime pas, ça fait fille. Il est à carreaux en plus ! Pourquoi pas avec des fleurs ?
Il faut écrire à la craie sur l’ardoise. Je n’aime pas non plus, ça crisse, ça me fait mal aux dents. Ça me fait penser qu’il faut que j’aille chez le dentiste.
Mon bureau en bois est gravé de signes cabalistiques par mes prédécesseurs. Un nom, un prénom, un cœur, un fusil, une voiture, des choses plus pornographiques… Où sont-ils passés tous ces artistes ?
Il n’y a pas d’informatique dans cette classe. Je peux enfin regarder autre chose qu’un écran. Une mouche, les jambes de la maîtresse, par exemple.
La maîtresse nous apprend le A. J’aime bien cette lettre. Il faut répéter ensemble ce qu’elle dit. J’essaie d’écrire un A palatino. Je demande à la maîtresse quand on pourra écrire « en attaché ». Elle dit que ce n’est pas au programme, qu’elle, elle suit le programme pour ne pas se faire enguirlander et que si j’ai d’autres questions comme ça, je peux me les garder.
A la récré, le grand Jeannot tente de prendre le pouvoir. Il y a toujours eu un grand Jeannot pour me chiper mon pouvoir. Cette fois, ça ne va pas se passer comme çà : j’organise la résistance avec Maurice qui vient des Antilles.
La maîtresse lit une histoire où le loup mange l’agneau. Elle a raison de prévenir, c’est toujours comme ça que ça se passe. Et puis elle demande si on a compris pour être sûr qu’on a retenu la leçon. Le grand Jeannot surtout qui comprend tout à l’envers.
Juliette pleure parce qu’elle trouve l’histoire trop triste. C’est normal, il y a toujours une fille pour pleurer. Quand il n’y a personne pour manger un agneau, elles inventent des histoires encore plus tristes.
La cloche sonne. Je me réveille. Mon chef me demande si j’ai bien dormi et si je pense que je suis payé pour dormir au bureau. Il ressemble au grand Jeannot avec ses grandes dents et ses yeux globuleux. Ou alors au loup affamé.