Un an après
26 juin, 2011« Vraiment mémorable, cet anniversaire… ». Ce matin là, Marcus, le porte-clefs des cachots insalubres réservés aux gueux, n’a pas pu s’empêcher d’ironiser en lui apportant son écuelle quotidienne. Marcus sait qu’Emilien est enfermé depuis un an tout juste.
Le prisonnier n’a plus figure humaine. Ses membres décharnés se tordent de douleurs sur sa paillasse. Seul son regard reste mobile et luit dans la pénombre au milieu d’un visage dévoré de pilosités. Ce faciès impressionne le geôlier. Marcus évite de croiser les yeux de l’homme dont il a la charge. Parfois, malgré son esprit simple et fruste, Marcus est inquiet. Si le prisonnier vient à mourir, Monsieur le Gouverneur n’appréciera pas. Ce n’est pas qu’il tienne particulièrement à sauver la peau de ce voleur, mais sa place est enviée. Peu de travail, une bonne rétribution. Et toute la journée disponible pour boire et jouer.
Un an déjà. Mais Emilien n’est plus en mesure de mesurer le temps. La fièvre le saisit fréquemment. Pendant l’hiver, il a failli trépasser. Il a gémi plusieurs semaines sur sa paillasse. Une religieuse alertée par Marcus est venue et s’est penchée sur Emilien. Lui, dans son délire, il a eu soudain l’impression de revoir les doux traits de sa mère lorsqu’elle se courbait au-dessus de son lit d’enfant. Le médecin de Monsieur le Gouverneur a bien voulu venir aussi dans ce cachot humide. D’un air dégouté, avec le bout des doigts, il a palpé ce qui restait du corps famélique d’Emilien. Puis, il a recommandé à Marcus une décoction de sa composition et s’en est allé au plus vite.
Au printemps, contre toute attente, Emilien a repris un peu de forces. Dans ses moments de lucidité, il est le premier à la regretter. Pourquoi donc le Tribunal ne l’a pas condamné à la pendaison ? Il aurait moins souffert ! C’est une véritable erreur judiciaire. Les juges l’ont sûrement oublié dans ce trou à rats avec l’ignoble Marcus pour seul compagnon !