Une petite fille bien embarrassée

Quand on a huit ans, il faut avoir une boîte secrète où l’on enferme tout ce que les autres voudraient bien connaître. Mais comme c’est secret, les autres ne sauront jamais ce qu’elle contient. C’est une astuce que je recommandais parce j’estimais qu’elle permettait d’attirer l’attention sur soi quand on ne savait plus quoi faire comme bêtise. Jusqu’à qu’une suite d’incidents regrettables me conduisent à changer radicalement d’avis. 

Grand-mère Martinaud avait, comme ça, un petit coffret qui trônait sur sa cheminée. Par moment, elle l’ouvrait avec une clé dorée qui pendait autour de son cou et admirait son contenu pendant un long moment. Personne ne savait ce qu’elle  conservait. Mon cousin Luc qui prétend tout connaître – mais Luc estime être au courant de tout, surtout des choses que les adultes ne veulent pas dire-  mon cousin Luc disais-je, affirme que le coffret de la mémé contenait les restes de son grand-père dont le corps avait été volatilisé par un obus allemand dans les tranchées de 1914. Seul, un orteil avait été ramassé et rapporté à sa veuve. Le doigt de pied était ainsi légué d’une génération à l’autre, chacune étant invité à se recueillir pieusement devant cette relique. 

Bref, j’ai pris une boîte à chaussures de ma mère et j’ai décidé d’en faire mon coffret personnel. Le seul problème, c’est que je ne savais pas quoi mettre dedans. L’éventualité de ne rien avoir à cacher me terrorisait. Luc aurait tôt fait de démasquer mon manque d’imagination et de s’en moquer cruellement. A quoi bon faire des cachotteries si l’on n’a  rien de confidentiel dans sa vie ? Luc dirait sûrement que c’est encore une idiotie de fille !

En attendant les idées qui ne manqueraient pas de germer dans mon esprit inventif, j’avais décoré l’extérieur comme un sapin de Noël avec des étoiles et des guirlandes et puis une indication très claire « Ne pas ouvrir ». Pendant que j’y étais, j’avais rajouté « Danger de mort ». L’inscription me faisait frissonner moi-même. Froussard comme je le connaissais, Luc n’aurait jamais osé pénétrer dans un lieu aussi bien gardé. Pour exciter sa curiosité et celle de mon frère Mathieu, j’ouvrais ma boîte en grand secret. Enfin… je faisais en sorte qu’ils me voient tout de même, de façon à ce qu’ils se demandent ce que je pouvais bien leur cacher. Ensuite, je refermais mon trésor en affirmant que toute tentative d’ouverture de leur part serait suivie d’une dénonciation immédiate auprès des parents et – par voie de conséquence- d’une privation de dessert. Voire pire. 

Il devenait quand même urgent que je trouve quelque chose à dissimuler. La liste de mes amoureux du cours préparatoire était un peu courte. Et puis, j’avais l’impression que tout le monde s’en foutait. Pépé Gérard étant toujours bien vivant et bon vivant, je ne pouvais pas compter sur un bout de son anatomie comme grand-mère Martinaud. Apparemment, il n’envisageait pas un nouveau service militaire à plus de soixante dix ans. Un billet de cinq euros peut-être ? Oui, mais enfin, ma fortune allait se trouver écornée d’un quart que j’aurais immobilisé au fond d’une boite à chaussures. C’était mauvais pour le fonctionnement de l’économie nationale. Ma copine Odile que j’avais longuement interrogée sur le sujet, n’avait pas de boite personnelle. Elle ne comprenait rien à la culture du secret chez la jeune fille. Elle me répondit fièrement qu’elle n’avait rien à dissimuler sans se rendre compte qu’une telle attitude risquait de la rendre totalement inintéressante aux yeux des autres. 

Je lui expliquais que j’envisageais d’avoir mon jardin privé dans lequel personne ne pourrait mettre les pieds, ni les mains, ni même jeter un coup d’œil. Il ne me manquait que la chose qui deviendrait l’objectif de la convoitise générale. Notamment celle de Luc et Mathieu. Si je pouvais faire mieux ou plus je ne me priverai pas. Jusqu’à avant-hier, je me contentais donc d’ouvrir précautionneusement ma jolie boite et d’en admirer le fond avec recueillement. 

Et voilà qu’en classe, la maîtresse nous raconte l’histoire de je–ne-sais-quelle-déesse-grecque à qui on avait confié une boite magique. On lui avait pourtant bien dit de ne pas l’ouvrir, à cette bécasse ! Elle n’a pas pu résister à la curiosité et a soulevé le couvercle interdit pendant que Zeus était occupé à autre chose. Du coup, tous les malheurs du monde s’en sont échappé : la maladie, la vieillesse, la famine, la guerre… J’en passe et des moins bonnes. Voulant rattraper son erreur, elle referma vivement son coffret, mais bien trop tard ! C’est donc à une vilaine histoire de boite et de curiosité malsaine qu’on doit tous les malheurs du monde. 

Depuis cette révélation, je me suis mise à regarder ma boite à chaussures d’un autre œil. Je ne l’ouvre plus pour le cas où s’y serait installée une catastrophe universelle. J’ai eu assez d’ennuis comme ça lorsque j’ai renversé du jus de fraise sur ma robe blanche, le jour du mariage de ma cousine. Je me dis que, pour m’embêter, Luc et Mathieu ont pu déposer dans ma boîte les germes d’une nouvelle maladie inconnue ou alors les composantes d’un nouveau désastre mondial. Par exemple, la suppression des récréations de dix heures du matin dans toutes les écoles primaires. Qui sait ? 

Dès lors,  la question se pose de savoir ce que je vais faire de cette chose. Une discrète disparition dans la poubelle familiale est dangereuse. C’est que mon père s’est converti avec enthousiasme à l’écologie militante ! Comme il passe en revue tous nos déchets ménagers, il ouvrira surement ma boîte en rouspétant qu’on se débarrasse de n’importe quoi dans cette maison au lieu de penser à recycler des objets qui pourraient être utiles.  Je pourrais subrepticement déposer mon coffret vide dans la rue en allant à l’école. Mais je ne tiens pas à déclencher le bouclage du quartier par les forces de l’ordre comme le jour où Odile a oublié son cartable le long du mur de la cour de récréation. Son père m’a paru particulièrement gêné quand il a fallu expliquer à un bataillon de démineurs, emmitouflés dans leur tenue de cosmonautes, que  l’objet abandonné ne contenait que le goûter de sa fille pour son quatre heures. Finalement, tout bien considéré, le mieux c’est que j’en fasse cadeau à Luc puisque ça va être son anniversaire ! 

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