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Le destin inexorable de Marcus

26 mai, 2011

            Marcus était un homme bon et généreux qui se faisait un devoir de ne jamais rien réclamer pour lui. De quel droit, lui, misérable créature humaine, aurait-il sollicité un avantage particulier ? Une faveur personnelle ? Avec un tel principe qui conduisait sa vie, Marcus ne s’était pas élevé très haut dans la hiérarchie des hommes de son village. Ce qui lui convenait puisqu’il ne tenait pas à être distingué par ses semblables. Il s’était enfermé dans une espèce d’orgueil qui lui interdisait toute allégeance aux conventions sociales, toute esquisse de soumission aux valeurs si pauvres véhiculées par la société humaine qui l’entourait. Marcus était un homme sage, mais austère. Dur avec les mesquineries des autres, impitoyable avec ses propres écarts à la morale. 

Son apparence physique était terne. D’une taille moyenne, son corps était déformé par le travail manuel : plutôt vouté, flasque sur les hanches et doté de membres disproportionnés. Son visage grave souriait très mal. Lorsqu’il essayait de rire devant sa glace, il avait l’impression de se lancer une grimace à lui-même. Seuls ses yeux noirs et luisants pouvaient laisser deviner la richesse de sa vie intérieure, au cas bien improbable où un observateur aurait marqué un intérêt pour cet homme. 

Pour Marcus, il était important de tout donner et de ne s’attendre à aucun retour. La nuit de l’incendie de la grange du père Louis, il se porta en première ligne pour lutter contre le feu malgré les dissensions qui l’opposaient à son voisin depuis si longtemps pour l’exploitation d’une parcelle de terrain. Grâce à son énergie et à sa prise de risque, le feu fut rapidement maîtrisé. Ses concitoyens admirèrent son courage et son sang-froid, puis retournèrent se coucher. Lorsque Louis, en essuyant l’émotion qui dégoulinait sur sa moustache gauloise, tendit sa main calleuse à Marcus, celui-ci sut trouver les quelques mots pleins de dignité virile pour dire que les petites querelles intestines devaient s’effacer devant l’exigence de la solidarité entre les hommes en cas de catastrophe imminente. Pour Marcus, si l’entraide de voisinage ne jouait pas, chacun devrait s’attendre au pire.

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