Un vrai battant
5 mai, 2011C’est décidé, je me rebelle. Il faut savoir se battre dans la vie. Se battre fait bien. Même quand on n’a pas d’ennemi.
L’ennui, c’est que je suis riche, en bonne santé, convivial, prêt à adorer mon entourage et le monde entier. Bon, ça ne fait rien, je vais me battre quand même.
Ce matin, je me suis battu dans le métro. C’était assez réussi. J’ai défoncé trois épaules, démoli deux dentiers, piétiné une dame âgée. Pour avoir le plaisir de faire une demi-heure de trajet dans un wagon bondé, le nez écrasé contre le dos d’un black athlétique qui s’était battu aussi. Ce n’est pas grave, je suis en progrès.
Malheureusement lors de mon retour chez moi, le soir, je n’ai pu écraser personne en pénétrant dans la rame. Elle était quasiment vide.
Chez le boulanger, je me suis battu pour avoir ma baguette avant les autres. J’aurais pu attendre tranquillement mon tour. Eh bien ! Non ! Avant tout le monde, je vous dis. Le boulanger ne veut peut-être plus me voir dans son magasin, mais je me suis battu !
Au bureau, c’était plus compliqué. Tout le monde est sympa avec moi. Duchemin ne tarit pas d’éloges à propos de mon travail. A la maison, ce n’est pas simple non plus. Marie est merveilleuse. Elle enrichit notre couple. Je ne m’ennuie jamais. Chez mon voisin Marcel, au moins, leur couple est en miettes. C’est le pugilat quotidien.
J’ai été obligé de convoquer Jeannot au bowling pour avoir le plaisir de battre quelqu’un à quelque chose. J’ai été le plus fort. Nettement.
Il ne faut pas oublier d’éduquer les nouvelles générations dans cet esprit de lutte. J’ai expliqué à mon gamin qu’il n’aura rien d’autre dans la vie que les avantages pour lesquels il aura durement lutté. Je crains qu’il n’ait pas bien compris. Il s’entend avec tout le monde, il n’a personne à combattre.
J’ai beaucoup progressé. Je ravage tout sur mon passage. Sans un regard pour les vaincus qui auront ce qu’ils méritent. Je sens leur jalousie dans mon dos. Je suis un monstre de sang-froid. Je me fais peur moi-même.